Cabinet de réflexions.
Cette traversée en solitaire est un passage à vide, une sorte de sasse de réflexion, de quarantaine, qui permet d’émerger et de se soustraire au mauvais climat, que fait régner de part et d’autre de la méditerranée, quelques mauvais coucheurs. Pour des raisons diverses et pas toujours honorables, ces excités de tous bords continuent d’exploiter politiquement et sans retenue, les moments les plus tragiques de notre histoire.
Dans l’ imaginaire de ces gens de mauvaise foi, que je n’hésite pas pour la plupart à considérer comme racistes, la guerre d’Algérie qu’ils ne veulent pas finir, est un tremplin téléguidé bien commode. En France contre tout ce qui peut avoir un lien direct ou indirect avec les arabes et l’Islam. En Algérie, pour permettre à la nomenclature en place de satisfaire et calmer des courants jugés extrémistes.
Certains, continuent dans un esprit d’amertume, peut être aussi par habitude, de servir des intérêts qui ne sont pas les leurs et comme jadis, complètement aveugles, passent à côté de la réalité.
Bon nombre d’entre nous sommes lassés et parfois furieux de constater cette médiocrité si maladroitement exprimée. Cet état d’esprit revanchard manifesté en France par une minorité politisée ou par des gens aigris, qui souvent au temps de l’Algérie française étaient loin d’être considérés comme des nantis, porte un tort considérable à notre communauté. Toujours encadrés et manipulés, employant tous les subterfuges, ils alimentent gratuitement des polémiques stériles n’hésitant pas à se servir des morts et des martyrs pour déclencher des campagnes anti sarazines qui nous font remarquer. Cette minorité de perturbateurs « déposeurs de gerbes et ranimeurs » de flammes, en empruntant des attitudes nationalistes d’extrême droite, ne font que militer pour leur fond de commerce et retarder les grandes négociations que nous espérons. Les plus crédules et les plus vulnérables d’entre nous applaudissent ces discours qui se traduisent comme à l’heure de l’anisette ou sur le divan, par des éructations libératrices qui ne mènent pas très loin.
Ces forts en paroles, dont le seul militantisme verbal consiste à flirter et à badiner haut et fort entre cinq et sept sur le net, ne font avancer en rien nos revendications et ne représentent que ce qu’ils sont. Bien peu de monde, beaucoup de bruits et le reflet dune image ternie du monde très diversifié des pieds noirs.
Comme la grande majorité silencieuse, dotée d’une expérience de la France acquise depuis l’exil, il est préférable aujourd’hui, d’user de modération. Les vérités difficiles à assumer doivent nous convaincre que seule une réconciliation sincère et honnête, certainement douloureuse, permettra de rétablir des liens durables qui risquent de déboucher sur une prise de conscience des états, permettant ainsi de sauver à court terme ce qui reste de nos cimetières.
Aujourd’hui nous sommes certains que seule la réconciliation, largement médiatisée et donc reconnue, entre Pieds Noirs et Algériens, permettra de déboucher sur des mesures que depuis 45 ans, nous réclamons en vain.
Le Maréchal Juin, qui ne fut ni à la hauteur de nos espérances ni à celle qu’en temps que pied noir et maréchal de France il aurait été tenu de s’astreindre déclarait en 1962 :
« La France est en état de pêché mortel, elle connaîtra un jour le châtiment.
Il y a quarante cinq ans, la tragédie de l'Algérie française prenait fin par l'exode massif des pieds-noirs vers la métropole et le massacre des populations fidèles abandonnées sur ordre en Algérie.
Concentrant sur eux l'opprobre, désormais attachée au passé colonial de la France, les Pieds Noirs virent leur histoire caricaturée, niée ou inversée.
Quarante cinq ans après, le bilan pourtant prévisible et désastreux semble reconnu. Les conséquences et les séquelles de cet épisode de l’histoire, aux quelles la France doit faire face aujourd’hui, est l’inévitable tribu que ce bon peuple de France devra payer en échange de sa passive complicité avec le régime gaullien.
L’ abandon sordide de l’Algérie, livrée à la va-vite, clés en main à la branche la plus extrémiste et socialisante du FLN, placera « la France en état de pêché mortel » et apparaîtra progressivement dans l’histoire des deux pays comme un acte criminel dont les responsables, bien vite de part et d’autre amnistiés, échapperont aux tribunaux internationaux.
Pinochet poursuivi pour l’assassinat de 3000 personnes se verra timidement inquiété alors que les responsables du génocide de plus de 100000 harkis et de toute l’opposition algérienne au FLN, termineront leurs carrières comme hauts responsables, ministres ou chefs d’états.
Le général Katz, le seul assigné n’ayant pu passer au travers des mails d’un filet pourtant lâche eut la bonne idée de mourir avant sa citation devant le tribunal.
En amnistiant les auteurs de tous les exactions commises pendant la guerre d’Algérie, De Gaulle mettait à l’abris, en même temps que ceux, aujourd’hui accusés de tortures, une pléiade d’individus nettement plus compromis, responsables de massacres et d’exactions toujours minimisés et camouflées.
LaFrance méprisable de De Gaulle et de ses successeurs, pour avoir choisi les pires interlocuteurs et en servant de base arrière au FIS, sera principalement coupable et responsable de la déchéance économique et sociale progressive de l’Algérie, entraînant la montée inévitable de l’islamisme et son accession démocratique au pouvoir.
Cette superbe intelligence que l’on prêtait au grand visionnaire du siècle n’avait pas prévu la future invasion, pourtant prévisible, de l’hexagone dont le prix à payer, outre le métissage de la nation gauloise, reste encore une inconnue.
Bab el Oued |
La réconciliation entre Algériens de toutes origines passe par l'acception de certaines vérités historiques qui forcément ne pourront pas plaire à tous. Difficile obstacle à franchir lorsque de part et d'autre on a été durement touché par des actes que l'on ne peut que qualifier de barbares.
Ceci dit, rien n'empêche des hommes et des femmes de bonne volonté, et il y en a beaucoup de part et d’autre de la méditerranée, d’essayer.
Six à huit millions de personnes en France, d’une manière ou d’une autre, sont liées à l’Algérie. Pieds-noirs, chrétiens et juifs, beurs, harkis, Algériens, Français y ayant fait leur service militaire ou anciens militants, ainsi que leurs descendants. Et bien plus si l’on prend en compte les immigrés et les clandestins.
Respectueux des convictions de chacun, notre espérance est de rassembler tous ceux qui aiment passionnément cette terre Algérienne et d’essayer ainsi de sauvegarder un pan de mémoire qui se meurt, une part de vérité, un témoignage.
Pour tous, il faut d’abord, de part et d’autre, réhabiliter le plus honnêtement possible les mémoires en essayant une analyse objective. “Il faut juger alors avec les yeux d’alors”. Aragon
Pour les
gouvernements et certaines associations, on en est encore aux polémiques.
Chacun revendique sa fin de sa guerre d’Algérie : le 19 mars ou 5 décembre, exagération et surenchères du nombre des victimes, falsification de l’histoire pour les vaincus et écriture d’une histoire romancée pour les vainqueurs qui ont un besoin d’Histoire à enseigner à un peuple jeune et turbulent. Alors, de chaque coté, on ment, on triche, on exagère, on se fabrique des légendes que certains historiens fort peu scrupuleux manipulent en fonction de leur fond de commerce et d’un public toujours aussi crédule, en partie attardé, en majorité peu concerné.
Arrêtons de commémorer des massacres ou d’élever des monuments à la gloire des martyres qui le plus souvent restent oubliés des plus grandes masses. Travaillons avec le moins d’amertume possible, le regard résolument tourné vers l’avenir, à une réconciliation sincère.
Rapprochement de plus en plus reconnu par un hermétique public métropolitain et par les jeunes algériens qui commencent enfin à entrevoir certaines réalités et pour qui l’histoire réelle de 130 ans de vie commune trop romancée reste à découvrir.
Il faut dire que nous sommes accueillis à bras ouverts en Algérie, que les jeunes Algériens ont soif de connaître l’histoire de leur pays à travers notre vécu et que le dialogue qui n’a jamais vraiment été interrompu entre nous prend aujourd’hui dans l’hexagone un aspect nouveau. Un aspect aux accents de vérité.
Il faut profiter de ce spectaculaire phénomène revenant de plus en plus fréquemment d’actualité, depuis l’année 2003, et repris par les médias qui ne peuvent plus soustraire la Vérité historique à un public français et algérien, de plus en plus curieux de leur histoire. Une pantomime de rapprochement officiel des gouvernements, pour des raisons démagogiques, électorales ou simplement honteuses, tardent à se reconnaître. Il est vrai que la reconnaissance de certains faits pénaliserait un demi siècle d’attitude pervers et mensongère.
Seul le respect mutuel de notre histoire et la reconnaissance réciproque des évènements d’un passé douloureux et encore trop présent permettra la grande rencontre tant attendue entre algériens de tous bords, tous issus de cette même terre que nous avons en commun et que nous continuons toujours de chérir. La vérité a des ailes, et nul ne peut empêcher son envol. ( Avérroes.)
Il est grand temps que des historiens honnêtes prennent le relais de ces « troubadours » modernes qui réécrivent depuis un demi siècle une histoire complaisante. L’attitude du peuple algérien semble témoigner de son attachement et de sa fidélité envers une certaine France, peut être un peu à cause des Pieds Noirs qu’ils connaissent mais qui hélas ne représentent pas exactement les mentalités françaises.
Pieds Noirs. Appellation contrôlée.
Se sont-ils intégrés ?
« On
peut être surpris que, souvent vilipendés collectivement en tant qu'abominables
colonialistes, ils aient su se faire apprécier individuellement au point d'être
si souvent élus en politique, portés à la tête d'organisations
professionnelles, ou acclamés comme vedettes de spectacle... »
Au moment de l'exode, la plupart ont vu leur patrimoine et leur outil de travail, fonds de commerce, ferme, atelier, maison, mobilier, voiture, s'évanouir en fumée. Ils ont dû repartir de zéro, souvent dans les pires conditions matérielles, toujours dans la même détresse psychologique.
Où étaient à cette époque âmes charitables et les cellules de crises ?
« Les Français d'Afrique du Nord n'étaient pas riches ! Pour reprendre l'image dont usait, par dérision, Albert Camus, leurs parents n'étaient pas « des colons à cigare et à cravache montés sur Cadillac ». Ni snobs, ni distingués au sens de Bourdieu. Ils ne portaient pas de costume trois-pièces et n'accrochaient pas, à leur bras, de parapluie anglais soigneusement roulé.
Camus lui-même était orphelin de guerre. Sa mère, femme de ménage. Le père du maréchal Juin était gendarme. Celui du prix Nobel, Claude Cohen-Tannoudji, était employé de bureau. Emmanuel Roblès était né d'un père maçon et d'une mère blanchisseuse. Jacques Attali ne manque jamais de rappeler que ses parents étaient de simples commerçants d’Alger. »
Le dynamisme, le goût du travail, la joie de vivre, ces qualités d’homme leur ont permis de reconstituer progressivement leur patrimoine. Perdu dans un pays longtemps hostile et froid, leur capacité d'adaptation héritée d'une tradition d'émigrés, leur esprit défricheur, d’entêtés pionniers ont contribué à leur réinsertion professionnelle dans une atmosphère franchement hostile et nourrie de clichés peu à leur avantage.
Certains de ces Français d'Afrique du Nord, après l'exode ont entamé ou poursuivi, en France ou ailleurs, des carrières remarquables. Les autres, la classe moyenne que les français ont souvent assimilés aux colons : artisans, ouvriers, pêcheurs, petits entrepreneurs, techniciens, enseignants, modestes commerçants, agents des services publics, cultivateurs, se sont mis au travail et le rétablissement spectaculaire opéré de ce côté-ci de la Méditerranée est à coup sûr le meilleur gage de l'authenticité des valeurs dont ils étaient porteur.
Cette mosaïque de races fut constituée de gens simples et travailleurs, amoureux de la vie, volontaires à l'ouvrage, prompts à prendre des initiatives. Ils furent toujours le produit d'une sélection de populations européennes et méditerranéennes transplantées complétées de petits négociants juifs réfugiés depuis des siècles au cœur des villes, d’Arabes et de Berbères. Souvent main dans la main, presque toujours dans une atmosphère de rivalités, sans trop s'embarrasser de différences religieuses, ils contribuèrent loin du grand colonat à façonner les détails de cette Algérie profonde.
Ecoutons l’éminent professeur Maurice Tubiana qui résume en quelques mots ce climat d’une apparente douceur.
« L’Algérie était une mosaïque de castes, de groupes ethniques et religieux qui se côtoyaient et se jugeaient sans bienveillance. Il en résultait une atmosphère de tension et de conflits latents, mais aussi un dynamisme, une volonté d’ascension, un désir de réussite sociale, une créativité propre à un pays d’immigrés, pur et dur où les rivalités étaient exacerbées dans un cadre ensoleillé qui noyait tout dans une apparente douceur de vivre. »
Convaincu de leur appartenance infaillible, voir viscérale à ce grand pays idéalisé et enjolivé par les récits de leurs pères et grands pères revenus couverts d’honneur et souvent gazés des champs de bataille, le pieds noirs, conditionnés par la presse coloniale,(brûlot dont les propriétaires étaient les quelques gros colons), ne pouvait imaginer autre dénouement qu’une solution française, schéma que De Gaulle s’empressa d’exploiter engageant l’armée, les Algériens et la République.
Il ne tardera pas à faire et à dire le contraire de tout ce qu’il avait promis sous serment devant le drapeau et prendre en otage tout un peuple qu’il sacrifiera avec cynisme et fourberie en imposant et en prolongeant une guerre civile, sale, meurtrière et sans issue honorable.
Le pieds noirs est ou plutôt était un français fier de l'être et contrairement à son compatriote métropolitain, le mot « patrie »ne le faisait pas ricaner. Terme longtemps contre versé, l’expression de pieds noirs n’est vraiment apparu qu’au début de la rébellion. Peut être pour différencier les Algériens de souche musulmane des européens que les français appelaient globalement alors algériens. A cette époque l’élite coloniale se qualifiait d’Algérienne face aux gouvernants de Paris et de Française quand il s’agissait de bloquer les réformes.
Le sobriquet de « pieds noirs », sans doute péjoratif au début, fut adopté d’emblée par l’ensemble des algériens d’expression française qui voulurent sans doute se démarquer des indigènes qu’on a continué à appeler les Algériens. Ce mélange de races et de religions donnera naissance à une nouvelle société qui s’identifiera pleinement qu’après leur départ d’Algérie.
Latin, méditerranéen ombrageux et fier, le pied noir est un personnage sorti tout droit de l’imagerie populaire. Le rire et la dérision font parti de son quotidien. Moqueurs extrêmes, même dans l’adversité, les pieds noirs ne devaient jamais de départir de cette qualité joyeuse et réparatrice. Rebelle, « macho », bon camarade, il est avant tout respectueux du clan familial. Il est souvent armé d’une susceptibilité et d’un goût ibérique du courage. Volontiers batailleur, querelleur, gagneur et têtu, il sait tendre la main à un adversaire loyal, s’allier à des causes honorables et consacrer une énergie considérable aux entreprises qu’il a décidé de réaliser. Une attirance naturelle et méditerranéenne vers les idéologies fortes, où le sens patriotique et cocardier tiens une place de premier ordre, l’entraînera à son insu à opter pour un camp qui ne fut ni celui de la sagesse ni celui du réalisme. Pourtant sérieusement échaudés, certains esprits simplistes continuent par instinct ou par habitudes, de s’enflammer pour des causes qui ne sont plus les leurs, prolongeant ainsi leur guerre d’Algérie, entretenant une rancœur qu’ils ne veulent ou ne peuvent refouler. Sans vraiment comprendre que ces sentiments négatifs sont un obstacle à une sérénité tant méritée, ils persistent, dociles, crédules et conditionnés, à soutenir des thèses qui ne sont plus d’actualité. Au fil de l’usure électorale, ce qu’elle n’a pas encore réalisé, cette minorité aveugle comme jadis, est en train de brûler ses dernières cartouches et se saborder bêtement.
En sabotant les dernières chances d’une réhabilitation honorable et d’une réconciliation honnête et réciproque avec leur frères algériens, de nombreux compatriotes prennent le risque de finir leur vie d’exilé sans connaître l’apaisement et la sérénité que procure ces retours toujours ou secrètement espérés.
Quarante cinq ans après l’érosion du temps a considérablement rogné et altéré les qualités et cet enthousiasme qui jadis caractérisait l’ensemble de la communauté pieds noirs. Sa participation dans le domaine associatif en témoigne. Aujourd’hui comme hier, la communauté pieds noirs considérablement divisée n’arrive pas se rassembler pour afficher, hors des clivages politiques, une union et une « force tranquille » qu’elle aurait du acquérir de par son expérience. C’est peut être là la preuve que nous courrons toujours après une identité qui certainement n’existe pas.
« Plus royaliste que le roi », plus français que le français, la plupart du temps ces enfants d’immigrés n’ayant pas encore compris les mentalités françaises où priment l’indifférence et l’individualisme, continuent de pavoiser des sentiments d’un autre temps. Sans avoir beaucoup évolués, manifestant des attitudes toujours aussi cocardières, quelquefois teintées d’un esprit de revanche qui s’apparente au racisme, ils continuent de croire qu’ils ont un avis à donner sur toutes les turbulences, qui secouent la France Algérienne. Certains sites internet, sans modestie ni complexes, en sont chaque jour les gênants témoins. Exprimer notre rancœur, cela peut se concevoir même si cela ne fait plus avancer les choses, s’allier à des coquins pour entraîner ses pairs à avoir des attitudes haineuses, cela est aujourd’hui récusable.
S’il y a rancœur, celle-ci va en premier lieu vers la France qui nous a trahi, trompé, humilié. Tant que la France, le plus officiellement du monde, n’aura pas prononcé son acte de contrition à notre égard, l’électorat pieds noirs ne devrait pas se prononcer.
Tous sentiments, bons ou mauvais, à l’égard de ce pays ne devraient en aucun cas se manifester . Ce qui n’est bien malheureusement pas le cas. Comme toujours chaque fois qu’une occasion de dérive se présente, nos représentants souvent autoproclamés ne ratent jamais une occasion de nous faire passer pour ce que nous ne sommes pas. Une minorité d’agités et de nostalgiques qui ne dépasse pas 3 % continue de flirter avec des extrémistes peu recommandables. En continuant de proclamer et d’afficher ce « patriotisme » d’attardés, ils confirment d’une manière anachronique et caractérielle, l’image que nous nous efforçons de ne plus donner de notre communauté.
Certains de ces revanchards poussés souvent par des « jusqu’au boutistes » se servent maladroitement de notre passé, de nos martyres, de nos cimetières pour allumer des foyers de tension qui leur permettent d’alimenter une propagande anti-arabe et de tenir au nom de la communauté des propos hors sujets jugés déplacés. Cette minorité mal pensante, manipulée ou ignorée par ceux qui furent jadis nos détracteurs, donne l’impression complètement erronée de représenter l’ensemble de la communauté pieds noirs. Ce qui est malheureusement repris malhonnêtement par nos détracteurs.
La grande majorité, déçue, démotivée, écoeurée ou soudainement indifférente reste silencieuse et se contente de figurer de plus en plus rarement dans les réunions gastronomiques où le menu semble avoir plus d’importance que le contenu de nos revendications ou l’écriture de notre histoire. Quelques militants de la réconciliation prêchent un peu dans le désert un rapprochement entre le peuple algérien, nationaux, pieds noirs et harkis. Langage de paix, de tolérance et de fraternité que les états ne désirent pas voir trop rapidement se concrétiser.
La plupart du temps, correctement intégrés et souvent nantis les pieds noirs semblent se désintéresser de leur passé et de leur rôle de derniers témoins de l’histoire. En dehors des associations couscous-merguez, ils rechignent à ouvrir leur bourse et à s’associer à la cause communautaire. Quand aux nouvelles générations, très peu se sentent concernés.
Ceci dit notre appartenance au peuple de France se traduit encore aujourd’hui pour la plupart d’entre nous par une évidente indifférence nationale, par un désintéressement total des affaires publiques et un désengagement complet de toute vie civique. Est-ce peut être déjà là, les signes d’une intégration et d’un rapprochement inéluctable vers les mentalités typiquement françaises ?
Etre pieds noirs en 2014, comme le traduit si bien J.J Jordi, c’est d’abord admettre la diversité des individus comptabilisés sous cette appellation générique. Compte tenu de ces différences, ce n’est pas 1830 qui crée le pied-noir, mais 1962.
Le rapatriement massif et tragique du printemps et de l’été 1962 devient l’élément fondateur d’une communauté qui se vit en exil. Le déracinement et l’éparpillement sur le sol métropolitain contribuent très rapidement au renforcement d’une conscience commune qui n’avait, semble-t-il, pas cours en Algérie. Dans une large mesure, l’attitude volontairement dévalorisante des pouvoirs publics et le rejet souvent affiché par les métropolitains vont cristalliser en ces pieds-noirs le sentiment d’être une communauté opprimée. D’ailleurs, ce terme de “pied-noir”, refusé dans un premier temps puis relevé comme un défi par les Français d’Algérie, renvoie à celui qui a L’étude des populations euroméditerranéennes (espagnole, italienne, maltaise), suisse ou alémaniques, pour ne prendre que les contingents les plus remarquables qui s’installent en Algérie, qui deviennent en un peu plus d’un siècle, par un cheminement assez complexe, des Français de la IIIe République, puis des Français d’Algérie, enfin des Français “de là-bas”, c’est-à-dire des Français pas comme les autres, en reste l’exemple le plus saisissant.
Etre pieds noirs en 2013, c’est rester les derniers témoins, les plus gênants possibles, d’une sombre période de l’histoire de France et pour les plus courageux d’entre eux, continuer de dénoncer la gigantesque entreprise de falsification de leur histoire, sans basculer dans le camp des aigris et des revanchards.
Etre pieds noirs en 2014, c’est afficher une modestie politique et culturelle qui seule, nous permettra d’accéder aux tables de négociations où jusqu’à ce jour nous sommes écartés.
L’éducation Nationale curieusement abandonnée depuis la guerre à la gauche la plus malhonnête, s’applique à réécrire l’histoire à sa façon et toujours à sens unique. Des colloques d’historiens présélectionnés, où tous représentants Pieds Noirs et Harkis sont exclus s’attachent à mettre à jour une soit disante réalité historique orientée politiquement et idéologiquement. Dénoncer « ce détournement historique d’un véritable lobby négationniste » est aujourd’hui une démarche indispensable qui permettra peut être aux historiens de demain de remettre de l’ordre et de réhabiliter la vérité historique.
Etre pieds noirs en 2014, c’est aussi continuer d’aimer sa terre natale, de découvrir son histoire, la vraie, et d’amorcer définitivement dans un respect mutuel et partagé, la grande réconciliation entre tous les enfants de cette Algérie, pour essayer entre autre de sauver ce qui peut encore l’être et en particulier ce qui reste de nos cimetières.
Il est de plus en plus vrai que le temps a ramolli nos énergies souvent freinées et fatiguées par ceux qui n’ont pas encore fini leur guerre d’Algérie. Quarante cinq ans d’exil n’ont pas réussi à nous confondre complètement dans la société française qui après un phénomène d’engloutissement et d’amnésie collective commence à découvrir que son histoire est intimement liée à celle de l’Algérie.
Notre principal ennemi reste le temps qui réduit chaque jour le nombre des derniers témoins de ce passé en terre algérienne. Avons-nous fait assez d’efforts pour passer le flambeau à nos enfants et leur transmettre les qualités de nos pères ? La réponse décevante est non ! Avons-nous eu assez d’audace pour dénoncer la trahison et l’inhumanité criminelle de l’homme du 18 juin. La réponse est encore non.
N’avons-nous pas eu tendance à admettre trop facilement comme une fatalité historique cette décolonisation bâclée qui apparaît de plus en plus comme un largage catastrophique et honteux ?
Autant de questions que nous ne cesserons jamais de nous poser et qui feront de nous des exilés, des apatrides, des déracinés.
Terre !
Cette terre Algérienne que je refoulerai demain matin après 44 ans de distance, soit presque trois fois plus de temps passé en exil que sur le sol natal, j’avais décidé depuis longtemps de l’aborder par voie maritime.
Peut être d’abord pour effacer l’horrible souvenir du départ, mais aussi pour retrouver le grand Alger qui dans mon esprit était resté intacte.
Cette approche du pays, tous les heureux élus arrivés par bateaux l’ont gardé gravée dans leur mémoire. Des plus hostiles des bidasses aux amoureux inconditionnels de ce pays, pas un visiteur, ne peut parler de cet endroit magique comme l’un des plus beaux sites qu’il n’ait jamais vu.
Cet envoûtement inexplicable s’opère dès que la ville émerge à l’horizon. Cette arène que forme la rade d’Alger sur 12 km de long et 8 km de profondeur avec en amphithéâtre les balcons en escaliers des plus belles avenues de la capitale dominées par la citadelle de la Casbah vous plongent d’emblée dans cinq siècles d’une histoire romantique, tumultueuse, de piraterie et d’orientalisme.
Cette ville avait une histoire et un passé souvent galvaudé par la colonie qui dégrada passablement dès 1830 l’aspect de la Casbah qui fut détruite en grande partie. En 1962 la casbah d’Alger représentait un tiers de sa superficie initiale, aujourd’hui un tiers de ce qu’il restait en 1962 a encore disparu. Dans 20 ans, il ne restera plus ou presque rien.
Alger, fut défigurée par la colonie puis rebâtie en longueur sur le mode Hausmanien. La France pendant 132 ans d’occupation en fit une capitale éclatante construisant dans un style néo-oriental de grands édifices publics. Cent trente années d’efforts, de travail et de modernité permirent aux habitants d’Alger et en général de l’Algérie d’être appelés par les autorités françaises des « Algériens ». Le terme Pieds Noirs n’était pas encore né.
Algérien d’expression française.
Ce terme inventé par le cercle algérianiste correspond bien et beaucoup mieux à notre identité que les différents qualificatifs, pieds noirs, rapatriés, repliés, réfugiés, français d’Afrique du nord, etc… employés depuis quarante ans pour nous différencier des français métropolitains.
Cette profusion de dénominations utilisées par nos hôtes pour nous démarquer d’une manière, il faut le dire de moins en moins discriminatoire, continue de nous faire penser que ce rivage de la Méditerranée n’est pas vraiment le nôtre.
Si notre vie s’est reconstruite ailleurs, le souvenir de notre terre reste encore vivace et l’expression « chez nous » où « là bas » toujours prononcés avec une certaine émotion, ravive en permanence une nostalgie qui ne s’éteindra jamais.
Oui nous sommes des algériens sans majuscule, car la majuscule signifierait la double nationalité que l’on pourrait nous accorder dans une Algérie plus intelligente.
Oui nous sommes des algériens car notre état d’esprit, nos mentalités, nos traditions, pour beaucoup inchangées, ont de grandes similitudes avec ces peuples, juifs, arabes et berbères.
Nous fonctionnons instinctivement dans de nombreuses situations et souvent avec une certaine fierté comme des « orientaux ».
Cette longue cohabitation avec l’arabe, le berbère, le juif et les musulmans en général a décuplé les nombreuses coutumes, traditions, habitudes et réflexes qui certainement existaient déjà dans notre ancienne culture méditerranéenne.
Sommes nous algériens ? sans aucun doute et nos frères nous reconnaissent comme tel.
Nous sommes algériens parce que les cinq générations de nos pères qui y ont vécu nous en donnent le droit.
A une époque où les élites bien pensantes se gargarisent de l’expressions à sens unique du « droit du sol », nous pouvons revendiquer ce droit et penser même qu’une double nationalité serait acceptée aujourd’hui comme un geste symbolique et fort, un geste de reconnaissance et de réconciliation.
Lequel d’entre nous, en son âme et conscience et en toute modestie, ne l’accepterait pas ?
Un tel évènement qui aurait pu certainement voir le jour avec le président Boudiaf qui avait reçu chaleureusement notre dévoué Jacques Roseau, pourrait vraiment permettre aux algériens d’expression françaises de renouer définitivement avec le pays et consolider un lien visant à renforcer le caractère fraternel, véritable trait d’union utile et indispensable au rapprochement franco-algérien.
Les quelques bruyants trublions que nous connaissons en profiteraient pour éructer une fois de plus leur rancune mais la grande majorité accepterait cette reconnaissance comme un hommage que nous méritons.
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Comme toujours une minorité d’excités et de revanchards en voie d’extinction crieraient au scandale et à la trahison. Une telle reconnaissance ruinerait d’un seul coup ces nombreux fonds de commerce où il est encore coutume de « bouffer de l’arabe » sur fond de drapeau tricolore.
Imaginons demain, un Bouteflika plus inspiré (ou son successeur), après avoir jaugé la valeur des grandes promesses sans lendemain américaines, décide de ranger ses clowneries au placard et de concrétiser un partenariat équitable avec le pays le plus proche, celui qui l’a enfanté.
Imaginons que les deux états, libérés de tous complexes et concernés par les vrais problèmes, prennent les mesures adéquates visant à officialiser et à développer leurs relations ancestrales.
Imaginons, non seulement les retombées économiques, culturelles et humaines qui en résulteraient, l’importance que prendraient les deux pays sur leur deux continents.
Opportunités d’affaires comme ce fut le cas du Maroc qui a très vite compris l’intérêt de ses enjeux économiques dans un rapprochement avec l’Europe. Il est vrai que l’éducation et la forte personnalité du roi Hassan II prédisposaient le tyrannique souverain, à ce rapprochement qui ne fit qu’enrichir sa propre fortune personelle.
L’Algérie, qui possède aujourd’hui des infrastructures touristiques de qualité, mais à longueur d’années désertes et improductives, en rassurant l’Europe deviendrait une fabuleuse destination en même temps que le centre d’intérêt de tous les tours opérateurs, qui à une heure du vieux continent, proposeraient les plus beaux sites de la planète.
Rien ne nous empêche de rêver et de penser que d’ici peu de nouveaux dirigeants, débarrassés de leurs chimères franchiront ce pas. En précurseurs commençons à manifester ce désir.
Demandons, réclamons, exigeons des actes symboliques et forts en nous appuyant pour commencer sur le culturel, baptêmes de rues, d’avenues, jumelages de villes et de villages, réhabilitation du monuments aux morts d’Alger en hommage à tous les morts d’Algérie, rencontres entre Algériens et Français sur les deux territoires, enfin entreprendre diverses actions individuelles ou privées, anciens des écoles, parrainage d’enfants, de collégiens, sauvegarde du patrimoine architectural, culturel, etc. Une manière de participer à ce rapprochement et à la reconstruction d’une amitié constructive et pleine d’espérance.
Voilà peut être un créneau où les algériens d’expression française associés aux algériens d’expression maghrébine pourraient s’engager en mettant en commun toute les énergies dont ils sont capables.
« Considérant les liens culturels qui existent entre les peuples originaires du Maghreb, et entre les Pieds-Noirs issus de ces pays, nous considérons que tous peuvent œuvrer pour que cette rencontre qui les concerne à tous de la même manière, débouche inévitablement sur des actions allant dans le sens de l’apaisement et de la fraternisation.
Notre compatriote Eric Wagner, pionnier pas toujours, compris de ses pairs, exprime bien ce même sentiment en soulignant :
« soyons partie prenante de cette volonté d’alliance et d’amitié entre peuples, afin d’y être associés, et démontrons à la face du monde, en guise d’un message d’espoir pour les peuples se déchirant aux quatre coins du globe, la force du lien des Pieds-Noirs avec le peuple algérien, au-delà d’une guerre que nous avons pu vivre comme une guerre civile, aussi. »
« Du passé restent des cicatrices douloureuses à ne pas négliger, mais elles ne doivent plus continuer à être un obstacle pour aller de l’avant »
« Par ce rapprochement, ces retrouvailles accentuées, il ne s’agit nullement de reniements : seulement de lucidité, d’innovation (pensée, action) à mener à bien avec tous ceux qui partagent ces analyses et objectifs. »
« Nos mémoires, Pieds-Noirs ou Algériennes, sont douloureuses (nous sommes bien tous des victimes, sans aucun doute possible, et pas seulement nous, dans cette conclusion dramatique de notre histoire commune).
Mais ne risquons pas de tomber dans une concurrence victimaire qui nous enfermerait dans des rôles devenus pièges. Essayons plutôt de rejoindre l’universalité des souffrances et des joies humaines, pour que ce qui s’est vécu sur les deux rives de notre histoire soit, au-delà des problématiques des traumatismes et de l’exil, une aventure de la conscience. »
« Doit-on, alors que le monde tente d’avancer, que des générations nouvelles s’épanouissent en portant un regard curieux et objectif sur cette histoire (qui leur appartient aussi, ils en ont conscience), doit-on donc sans fin sacrifier le présent au passé en fermant toutes les portes, en coupant toutes les passerelles, brisant ainsi l’espoir d’un avenir en commun à partager en tenant compte des réalités d’aujourd’hui? Partage qui est possible entre Pieds-Noirs, Algériens de l’exil (osons cette définition puisque des Algériens de citoyenneté les reconnaissent pour tels) avec les Algériens d’Algérie, quand des signes forts venant notamment de là-bas permettent d’y croire vraiment, y invitent… »
Ce qui est sûr aujourd’hui c’est que les pieds noirs sont une composante du peuple algérien.
Ce pays sentimentalement est le leur.
La reconquête affective n’est pas à faire puisque jamais ils n’ont pu se détacher de cette terre.
Ce qui importe aujourd’hui, au-delà des reconnaissances officielles des états, freinées par des surenchères imbéciles que les peuples ne partagent pas, c’est la reconnaissance avouée et reconnue du peuple algérien à notre égard. Par leurs marques d’affection réciproques, tous ces Algériens, enfants de cette même terre,
confirment en faisant un pieds de nez à l’histoire, l’importance de ces retrouvailles.
Peu importe les repentances et les actes de contrition. Nous savons tous qu’en matière de barbarie, de part et d’autre, la ligne jaune fut franchie. Quel serait l’homme de bonne foi qui pourrait affirmer le contraire ?
Revenir sur le sujet et retarder ces rapprochements sont un moyen diplomatique et démagogique de satisfaire des minorités actives ou dangereuses et de laisser les populations dans un désarroi croissant. Alors que les problèmes économiques de deux côtés des deux rives conditionnent à des degrés différents, les populations dans une misère alarmante, un nouvel ordre qui ne se situe plus au niveau d’une occupation territoriale, est entrain d’hypothéquer l’avenir au profit de minorités indélogeables.
A t on le droit de rêver, nous pieds noirs, à un changement ? Pourquoi pas !
A t on le droit de rêver, nous pieds noirs, à une reconnaissance plus officielle d’un état Algérien plus démocratique ? Certainement oui s’il satisfait le bonheur du peuple Algérien !
L’évolution des peuples aidant, il se pourrait que dans un très proche avenir, de par la volonté des peuples, une union véritable, dans l’intérêt des deux parties, se mette en place et commence à porter ses fruits. Sans aucun doute ce jour viendra, peut être plus rapidement que prévu, car les vrais anciens combattants, de part et d’autre se font de plus en plus rares. Comme en France, les héros de la résistance démultipliés à la libération, finiront par s’essouffler et à disparaître définitivement du paysage pour devenir simplement une légende. Et là seulement l’Histoire pourra commencer à s’instruire.
En définitive, qui pourrait être meilleur partenaire pour l’Algérie sinon la France et inversement ?
Avons-nous un rôle à jouer, nous Pieds Noirs, dans cette réconciliation ?
Oui nous en sommes certains !
L’arrivée en bateau sur la capitale Algérienne est un inévitable premier coup de foudre avec le pays.
Phénomène collectif qui marque pour toujours le visiteur qui arrive pour la première fois en rade d’Alger.
A 5 h du matin, sur le pont supérieur j’assiste au levé du jour. La mer est d’huile et le lourd bateau qui n’a pas la grâce ni le charme des bâtiments de la Navigation Mixte glisse doucement, plus doucement que par le passé vers Alger.
On devine les côtes algériennes vers 10h mais cette approche est hélas trop rapide.
Grâce à la photo numérique je compte bien immortaliser sur tous les angles cet accostage. Le spectacle qui m’attend me rend impatient et fébrile.
La partie Est de la rade apparaît en premier dans un flou de collines, puis se distinguent les maisons, les quartiers, les deux îlots de la Pointe Pescade.
Le bateau maintenant est dans l’axe de Bab El Oued surplombée par la carrière Jobert qui se détache au dessus des maisons. On approche de la balise de Nelson qui a changé de couleur, le petit chapeau conique qui la surmontait a été remplacé par une antenne radio. Ce qui sera curieux durant tout ce voyage, sera de remarquer des changements dans d’infimes détails comme ce chapeau conique ou la couleur de cette balise qui à l’époque était rouge et blanche. Sans y avoir souvent pensé, cette balise était restée intacte au fond de ma mémoire.
Nous sommes maintenant en face d’Alger qui semble avoir doublé, triplé en constructions. L’émotion monte. Je voudrais que le bateau stoppe ces machines pour mieux profiter de cette offrande. A plusieurs reprises ce site magnifique de la rade d’Alger qui de loin n’a pas beaucoup changée se brouille d’un voile provoqué par une émotion difficile à contenir.
Le petit déjeuner pris il y a quelques heures avec un jeune Algérien curieux qui avait deviné ma démarche fut d’une cordialité étonnante. Plusieurs algériens voyageant seuls venus nous rejoindre à cette table de célibataires entrèrent joyeusement dans notre conversation en me précisant d’une manière assez touchante que des liens peut être inexplicables, existaient toujours entre nous. Pas un seul de ces voisins de tables n’avaient connu notre époque.
L’arrivée en bateau à Alger est poignante, les Algériens eux-mêmes, ne peuvent détacher leur regard de ce merveilleux panorama. La ville est bien plus blanche qu’avant. Les volets bleus de toutes les façades s’harmonisent bien avec l’insolente lumière qui se réfléchit sur la mer.
Maintenant Alger est là, devant moi. Avec toute mon attention je scrute chaque maison, chaque bâtiment, chaque coin de verdure. Je veux profiter le plus possible de ce panorama, l’imprimer dans ma mémoire.
Après cette approche qui dure plus de deux bonnes heures, la gorge nouée je m’apprête à débarquer. Cet instant est grave et poignant, depuis cette date maudite du 17 juin 1962, j’espérais ce retour. Nous sommes le 7 mai 2006. Quarante quatre ans, presque jour pour jour.
Revoir mon Algérie, c’est fait, je me sent déjà mieux !
Alger la blanche, El Djézaïr, Icosium…
j’en ai rêvé 44 ans.
Dans un rêve permanent je retourne souvent dans ma ville. Alger du soleil, des tempêtes, des grands jours de vent s’engouffrant dans les larges avenues de Nelson, Alger des années heureuses où nous allions partager la Mouna à Sidi Ferruch ou à Baïnem, Alger des jours de haine, de sang et de colère, Alger de mon enfance, plus belle ville ville du monde et symbole encore vivace d’une aventure heureuse et tragique de plusieurs peuples, acteurs d’une saga dont nous jouons les derniers tableaux.
Arrivée en bateau à Alger est un spectacle inoubliable. Entre mer, montagnes et soleil, Alger, ancienne cité barbaresque et repaire de pirates concoure de beauté avec les plus rades du monde.
La baie d’Alger ouverte sur le nord, face à la France, simulant un arc de 12 km de long sur 8 km de profondeur est plaquée au pied de montagnes qui s’élèvent dès le rivage.
Les avenues qui sillonnent la ville donnent l’impression de balcons qui partent à l’infini.
Sur la droite, à flan de colline, la Casbah, citadelle du XIVème siècle aux ruelles étroites. A ses pieds, la rampe Chasseriot mène à la darse, ancien port des raïs, de nos jours amirauté et port de plaisance.
C’est de ces quatre îlots, el djézaïr (en arabe les îles) reliés à la terre par les décombres de la destruction du fort l’Empereur (le Pénion) que Barberousse organise ses fructueuses expéditions en méditerranée. Cet assemblage d’Orient et d’Occident fait le charme de la capitale qui regorge de palais richement décorés du butin de la piraterie.
Marbres d’Italie, carreaux de Delph, fers forgés européens et colonnades vénitiennes enrichissent un art islamique et ottoman importé par les arabes en Barbarie et perpétué avec habileté par l’architecture néo orientale des édifices construits par les français.
Le premier balcon où l’on accède par les escaliers de la pêcherie abrite la place du gouvernement où caracolait jadis le duc d’Orléans, fils de Louis-philippe et passionné d’Algérie, au fond l’ancienne mosquée devenue cathédrale pour redevenir mosquée est une magnifique construction byzantine qui délimite le territoire de la Casbah, site classé au patrimoine mondial de l’humanité et où il est impossible de se perdre car toutes les rues redescendent vers la mer.
Alger, cité culturelle, cité de palais et de maisons mauresques a inspiré de nombreux artistes dont le plus prestigieux d’entre eux Etienne Dinet allias Nasser Edine Dinet est enterré à Bou Saada. Ce mouvement orientaliste très à la mode au XIX ème siècle sera par la suite longtemps boudé par les amateurs d’art et atteindra après l’indépendance des côtes considérables sur le marché de l’art. Un autre grand artiste algérien Mohamed Racim marquera son époque et sera reconnu dans le monde entier pour ses enluminures.
Djemma El’Kebir, la grande mosquée, dont le minaret date du XIV ème siècle fut commencée au XI ème pour se terminer en 1837. Djemma El Jdid, la nouvelle mosquée, construite en forme de croix par un moine architecte en captivité. (qui fut attaché et exécuté au bout d’un canon après avoir avoué au dey cette particularité). Cette construction due à la piété des janissaires se trouve en plein cœur de la place du gouvernement que les vieux algériens appellent la place du cheval, surplombant la darse.
On ne saurait évoquer Alger sans mentionner le faubourg de Bab el Oued, qui a été le creuset de cette fusion d’étrangers d’où a émergé un nouveau peuple, un nouveau type d’hommes aux origines multiples, qu’on appellera d’abords les Algériens puis à partir de 1954 les pieds noirs.
Une autre visite incontournable : Le monumental jardin d’essais, véritable jardin botanique de toutes les espèces subtropicales venues des toutes les colonies françaises mais aussi du Mexique, des Antilles, du Brésil, d’Asie, d’Inde et d’Australie raconte l’incroyable aventure botanique que fut l’Algérie. Les caves expérimentales d’Algérie seront le point de départ d’une viticulture moderne et d’une nouvelle science, l’œnologie, qui révolutionnera les techniques de fabrication du vin en apportant aux grand crus français une perfection scientifique qui se transmettra en Amérique et en Afrique du sud.
Deux musées, le Bardo et Stéphane Gsell, présentent les plus belles collections d’art romain, d’archéologie, d’art oriental et islamique.
Ville éclatante de lumière, murs chargés d’histoire, panoramas inoubliables où le ciel et la mer s’associent les jours de colère pour exprimer une violence que seule cette terre est capable d’engendrer.
Alger, méditerranéenne ,fière et lunatique, capitale de l’Empire et ville turbulente marquera l’histoire de son destin souvent tragique. Terre de passage et de conquête, l’histoire de ce pays sera vouée depuis la nuit des temps à une malédiction éternelle. La paix n’a jamais vraiment existé sur cette terre nord africaine où le sang a toujours coulé et où l’unité des populations et des différentes ethnies reste toujours le problème majeur d’une identité algérienne qui a du mal à s’affirmer.
Alger la bourgeoise, première ville du pays et résidence des grandes familles du grand colonat, de la haute administration et de la grande bourgeoisie française et algérienne, affichait comme toutes les capitales du monde ses quartiers riches et résidentiels. Isolés dans des palais ou de luxueuses villas d’un standing correspondant à leur fortune, cette haute société évoluait en vase clos et était pratiquement ignorée de la masse populaire. Comme partout ailleurs, deux mondes se côtoyaient sans vraiment se connaître.
Alger et ses environs, la Madrague, Baïnem, Pointe-Pescade, Sidi-Ferruch, Zéralda, Castiglione, et bien sûr Tipaza resteront pour bon nombre d’entre nous des nostalgies de mer et de soleil que notre plus célèbre écrivain immortalisera dans « Noces ». Souvenirs qui resteront soudés à nos mémoires et qui inconsciemment nous rattache à un passé révolu mêlé de regrets, de chagrins et de mélancolie.
Je retournerai certainement un jour à Alger et ce jour là sera un grand évènement.
Même si Alger sans ses Pieds Noirs n’est plus tout à fait Alger…
Loin de ressembler à la caricature qu’en fait Jules Roy, l’un des leurs, qui en caricaturant une jeunesse minoritaire des beaux quartiers restait dans la ligne de son parti, les Pieds Noirs, dans leur grande majorité, soulignait Camus, ne furent spoliés que du droit tout à fait légitime de vivre et de mourir, si possible paisiblement sur leur terre.
Bab El Oued
Revoir Bab el Oued, mon ultime rêve se réalise…
Alger sans Bab el Oued, c’est un peu New York sans Manhattan…
En arabe la porte de l’oued, ce faubourg populaire d’Alger doit son nom à un oued qui a été recouvert et qui se trouvait jadis avenue de la Bouzareha.( bou = père, z’rhéa = graine)
Cette agglomération de 80 à 100 000 habitants essentiellement issus de la classe ouvrière était composée de juifs, de maltais, presque toujours les plus riches, d’espagnols, d’italiens plutôt pauvres et d’arabes, les plus démunis. On trouvait aussi des origines corses, alsaciennes et françaises, ainsi que de nombreux mozabites.
Plantée au pied de la carrière Jaubert qui allait donner à la ville d’Alger sa renommée d’Alger la Blanche, ce cantonnement de carriers qu’il fallait nourrir et pourvoir en fournitures de toutes sortes attira des commerçants juifs, maltais et mozabites. Ensuite arrivèrent les pauvres pêcheurs italiens, principalement napolitains, des espagnoles et en dernier lieu les républicains espagnols fuyant le franquisme. Avec bien souvent pour seuls bagages leurs coutumes et leurs traditions, tout ce monde, cosmopolite était heureux de redémarrer une vie pleine de promesses. Ils avaient tous un but commun : Réussir.
A part son nom exotique, ce quartier n’avait rien d’oriental. De grands immeubles Napoléon III bâtis sur de larges avenues débouchant sur des esplanades et jardins en escaliers surplombaient des panoramas sur la mer à vous couper le souffle. En fond sur la plus haute des collines, sur fond de ciel azur, Notre Dame d’Afrique. En cent ans, ce qui fut un exploit pour l’époque, cet immense territoire rural devint un faubourg puis une véritable ville à la porte de la capitale, avec ses quartiers bourgeois pour les plus aisés, des quartiers plus simples pour les autres et enfin des cités nouvellement créées, genre HLM, pour les derniers arrivés. (HBM. habitations bon marché).
Loin des riches quartiers bourgeois de la capitale, ces faubouriens dépassaient rarement le quartier Nelson, qui finissait au lycée Bugeaud et qui était la frontière qui nous séparait de la ville d’Alger. Vivant en vase clos, presque en ghetto et souvent raillés par les Algérois intra-muros, la société « babeloudienne » allait être dominée par l’influence espagnole du sud, mahonaise et italienne. Donnant naissance à un langage populaire, imagé et pittoresque, un nouveau style de folklore et un nouveau parlé immortalisé par le personnage de Cagaillous naîtra. Bien plus tard la famille Hernandez fera connaître cette exubérante société aux origines diverses et à l’incroyable culot d’afficher des sentiments pourtant sincères de leur francité.
Les nombreuses églises de Bab el Oued accueillaient une foule de nombreux paroissiens, en majorité d’origine italienne et espagnole. Les plus zélés, et ils étaient nombreux, manifestaient une dévotion qui frisait l’exhibitionnisme et la superstition. Les pèlerinages et les interminables processions à Notre Dame d’Afrique étaient célèbres et les nombreuses « mama » italiennes ou espagnoles traînaient manu militari leur progéniture pendant que leur mari, discutaillaient sport ou politique devant les comptoirs emplis de kémias des grands cafés du quartier. Certains pèlerins ironisaient-on partaient de l’avenue des consulats à pieds ou même à genoux. D’ autres pour mieux expier leurs pêchers mettaient du gravier dans leurs souliers, d’autres encore des pois chiches… que les plus malins faisaient cuir avant de partir. Les 6 km qui séparaient le point de départ à la basilique étaient arpentés dans un concert de louanges, de prières et de chants.
Le Bab el Oued des cafés et des brasseries tenait une place importante dans la vie de tous les jours. L’anisette et la khémia agrémentaient ces longues soirées qui débutaient généralement vers 18h30 et qui réunissaient toujours les mêmes habitués. Les patrons de café en vrais professionnels rivalisaient d’ingéniosité pour attirer cette clientèle. Le Grand Café Riche avait pour spécialité les frites et les escargots. Chez Henri c’était les beignets de poisson, le poulpe ou la sépia. Souvent devant le bar, sur deux ou trois rangées, les clients tendaient leurs verres pour se faire servir. Et dans cette ambiance survoltée c’était souvent le foot ball qui déchaînait les discussions les plus passionnées et animées. En ce temps là la politique n’était pas encore à l’ordre du jour.
L’invective, l’affront, l’offense, l’injure tenait une place importante, typiquement masculine et latine dans la vie de tous ces gens simples et souvent analphabètes, prêts à se passionner et à s’exprimer pour un match et bien plus tard pour la politique. Ces frères ennemis, supporters de l’ASSE ou du GSA oubliaient leurs querelles sportives permanentes pour aller affronter avec le même chauvinisme les équipes de Sidi Bel Abbes ou d’Oran.
Les épouses, quand à elles préféraient les grandes salles de cinéma qui se remplissaient comme par enchantement dès qu’un film de Luis Mariano apparaissait sur des affiches avantageusement hispanisées. La cuisine tenait une place importante et donne encore de nos jours une idée de la richesse culinaire de notre région. Cuisine juive, arabe et méditerranéenne donnera naissance à une nouvelle gastronomie toujours très appréciée.
Symbole de l’absurde et désillusion de tout un peuple face à l’incompréhension de l’histoire, les pieds noirs de Bab el Oued allaient supporter et payer chèrement la politique scabreuse du grand colonat et l’intransigeance sournoise et aveugle d’un plus grand fabulateur qu’eux, Charles De Gaulle.
Orientée par quelques familles qui se partageaient le pays, une politique incohérente entraînera tout un peuple à basculer dans le camps de la rébellion, cela dans l’indifférence la plus grande d’une métropole trop occupée à reconstruire l’après guerre.
A Bab el Oued comme partout ailleurs différentes castes sociales se côtoyaient. Les derniers arrivés étaient les plus pauvres et vivaient dans des quartiers bien délimités et construits spécialement pour eux, c’était par exemple le cas des gitans qui avaient remplacé dans des baraques es italiens qui occupaient les habitations bon marché qui s’étendaient de l’avenue des consulats à la consolation. D’autres plus anciennement établis occupaient les beaux quartiers de Bab el Oued, l’avenue de la Marne ou la rue Borély le Sapie. Les quartiers neufs des hauteurs de Bab el Oued commençaient dès les années cinquante à accueillir les familles arabes qui peuplaient les bidons villes avoisinants. Une tardive mais véritable politique de logements sociaux se mettait progressivement en place.
Tout ce monde vivait bruyamment et en friction constante qui se manifestait très tôt sur les bancs de l’école républicaine et plus tard sur les terrains de sport.
J’habitais au premier étage de la rue Mazagran, entre les escaliers du Marignan et l’avenue Malakoff. Notre immeuble de cinq étage était une grande maison familiale où régnait un esprit « kibboutzim » où chaque locataire avait vu naître plusieurs générations d’entre nous. Serrour , Manuguera, Figarolla, Chocart, Ousillou, Hadjaj, Chouraki, Pulsonne, Cohen, Gomez, Torres, Assaya, Caillemaris, Lascar, Réallé…il fallait être d’une grande politesse et les embrassades étaient nombreuses. Quand un enfant de la maison était malade, il devenait immédiatement le centre d’intérêt de toutes ces familles qui manifestaient leur solidarité et leur inquiétude par des envoies spontanées de pâtisseries orientales, juives et arabes. Chaque petit pieds noirs se retrouvait ainsi avec une multitude de tantes et d’oncles, de grands-mères et de grand pères qui au fil du temps continuaient de considérer ces enfants devenus adultes comme leur famille. Et cela c’était magnifique !
Tout ce monde vivait en parfaite intelligence et la rue faisait partie de notre vie. Commissionnaires arabes, marchands d’habits (ancêtre du fripier et du brocanteur), vendeurs de figues de barbaries, de tramous, de bli-blis, clochards du quartier (qui étaient des SDF privilégiés) qu’on appelait aussi « des kilos » faisaient partie de cette grande comédie où il n’était pas rare, au temps de l’Algérie heureuse, que l’un d’entre eux, Saïd ou Kaddour, sous le balcon de ma grand-mère, et à la grande joie d’un
nombreux public toujours disposé à rire, s’époumone en criant : « Mémé, lance moi cent-sous !
A BeO les fêtes étaient nombreuses, chrétiens, musulmanes, juives. Chaque fête était marquée par une participation collective et par des échanges de nourritures. Je me souviens des fiançailles de Josiane Hadjaj où par tradition juive on nous mettait du hénné dans la main, de ces passages obligés chez le coiffeur du quartier lors de la barmitza de nos petits voisins, les mariages étaient les plus belles fêtes et j’ai encore le souvenir de Lili Boniche descendant les escaliers de notre maison en jouant du violon, c’était toujours pour le mariage de la fille Hadjaj.
A Bab el Oued nous avions le sang chaud. Depuis il s’est à peine refroidi. Un regard trop pesant, une remarque à peine déplacée, un mot de travers risquait à tout moment de déclencher une émeute. Ce goût ibérique du courage se développait très tôt et l’école républicaine était un excellent terrain d’entraînement. Nos maîtres nous montraient l’exemple en exerçant une éducation musclée où le sens moral avait une place importante. Il en était de même pour nos curés. Tous ceux qui se souviennent du père Streicher de St Vincent de Paul pur alsacien et pieds noirs dans l’âme garderont même adulte un souvenir de frayeur, de respect et une grande estime pour ce personnage hors du commun qui maniait aussi bien le goupillon que le coup de pieds au cul. Nos curés étaient à notre image ; turbulents.
Tous ce monde que l’on adorait et que nous craignons représentait pour nous un univers que nous assimilions à ce pays lointain qui nous fascinait et que béatement nous vénérions. La France.
Nous ne savions pas que nous nous trompions.
Gabriel Conessa, journaliste et enfant du quartier , auteur d’une livre émouvant sur Bab el Oued exprime un sentiment que nous partageons tous en soulignant que paradoxalement c’est à Bab el Oued que la guerre n’aurait jamais du avoir lieu. C’est singulièrement dans ce quartier, véritable creuset de races et de religions confondues que la guerre n’aurait jamais du avoir lieu.
Et c’est là que le plus grand choc du drame algérien s’est produit.
Tous ces français « à part entière », dont certains s’exprimaient encore difficilement dans leur nouvelle langue, tout ce petit monde à peine ressorti de la misère, persuadé d’appartenir corps et âme à la nation française ne pu comprendre cet abandon soudain d’une France à qui il avaient plusieurs fois prouvé leur attachement.
Leur histoire passée largement amplifiée et exploitée par une propagande savamment dosée et orchestrée par l’antenne gaulliste d’Alger, allait pousser ces simples gens à la révolte et au refus d’admettre d’autres solutions plus réalistes.
La révolte fut spontanée et soudaine, naturelle, logique et incontournable. Nous étions murs pour servir les intérêts de quiconque pourvu que ce soit dans une solution française. Il faut dire que les évènements historiques auxquels ont eu à faire face depuis la conquête les divers gouvernements ne permirent pas d’envisager sérieusement de grandes réformes pour cette colonie. La maladroite quatrième république, talonnée de près par les gaullistes, ne rata jamais une occasion d’inquiéter le peuple d’Algérie dans toutes se composantes jusqu’au jour où cinq hommes respectables décidèrent de reprendre la lutte armée contre la France.
Tous ceux qui ont vécu l’histoire de ce quartier ne pourront pas oublier les manipulations et les manigances gaullistes qui devaient aboutir au 13 mai. L’attentat de la rue de Thebes, l’affaire du Bazooka (M.Debré), l’enterrement d’Amédee Froger ou le départ de Jacques Soustelle.
Par son engagement inconditionnel de rester français, Bab el Oued allait devenir un réservoir d’activistes qui devaient faire de ce turbulent faubourg, le jour au De Gaulle changera de politique, le bastion de l’Algérie Française.
Les derniers mois de l’Algérie Française resteront à jamais gravés dans nos mémoires.
Le blocus du quartier par des troupes commandées par le petit général Ailleret fut d’une sauvagerie encore aujourd’hui dissimulée. La répression fut sanglante, impitoyable.
Le quartier fut bombardé par hélicoptères et chasseurs T6, la troupe française composée de gardes mobiles, des droits communs recrutés dans les prisons contre remise de peine, s’en donneront à cœur joie. Fouilles, perquisitions, arrestations, tortures ne permettront pas d’arrêter le général Salan qui s’échappera du camp retranché déguisé en pompier. Les gendarmes se vengeront sur le petit peuple de Bab el Oued qui se défendra en répondant par la même violence. Plus de 100 morts parmi les civils. Des milliers de déportés. Bab el Oued en prenant un air de Budapest occasionnera l’une des plus grandes manifestations pacifique qu’ait connu l’Algérie et qui sur ordre se terminera par un carnage prémédité le 26 mars 1962.
Dès lors commença une politique de la terre brûlée, toutes les parties concernées allaient se déchirer, s’entretuer et creuser de plus en plus un fossé entre ces « désespérados » qui refusaient de quitter leur terre et un gouvernement décidé à en finir à n’importe quel prix.
Le 26 mars sera l’ultime tentative des pieds noirs à manifester leur attachement à la France. L’armée française les laissera passer deux barrages, les enfermera et leur tirera dans le dos. Le massacre aura duré 12 minutes laissant sur le tapis 82 morts, hommes, femmes et enfants.
Ce crime prémédité allait déclencher un exode difficile et une arrivée inoubliable sur le sol métropolitain. L’Algérie n’existait plus. Les pieds noirs avaient perdu leurs illusions et allaient devoir réapprendre à reconsidérer objectivement la France, un aspect de ce pays que finalement nous ne connaissions pas.
En s’amputant de l’Algérie dans les pires conditions, la France se plaçait « en état de pêché mortel » et deviendra, pour la plus grande partie d’entre nous, qu’un souvenir lointain.
L’aventure commence.
Marchand sur le grand balcon de la compagnie maritime, au pied de la passerelle, je réalise soudain que je foule cette terre algérienne que j’aurais voulu baiser symboliquement comme aurait pu le faire le Pape. Ce que je fais dans ma tête en pensant à tous mes frères pieds noirs, car cette même pensée a du traverser l’esprit de plus d’un million d’exilés.
L’aventure commence. Je suis persuadé que le plus dur reste à faire. Et malgré l’émotion qui m’étreint de plus en plus, je ressent une certaine satisfaction, un certain plaisir de me retrouver enfin « chez nous ».
En débarquant ainsi, après le départ précipité que nous savons, l’accueil est fantastique. A la police, sourires complices et bienvenue, à la douane, vibrante poignée de main, au change, précipitation d’un employé qui me souhaite la bienvenue…
La gorge nouée…je suis ému et je souris… « Vous êtes ici, chez vous… » DZ sur le passeport, après tout, ici, ça sert au moins à quelque chose.
La surprise et l’émotion sont totales. Ils ne nous ont pas oubliés !
L’arrivée à l’Hôtel où j’avais une réservation attire l’attention de nombreux employés de la réception qui jovialement me souhaitent tous la bienvenue au pays.
Dans la foulée et déjà pressé, après avoir déposé ma valise dans la chambre d’où la vue sur l’Amirauté est impressionnante, ma première sortie est d’aller envoyer un mail à la famille. A quelques mètres de l’hôtel sur la magnifique esplanade d’El Kettani, le commerçant du cyber après avoir jeté un coup d’œil au message que j’avais transcris en grosses lettres, sans doute pour exprimer ma joie, refuse que je le règle. J’insiste et pour toute réponse : « Bienvenue chez vous » ! C’est bouleversant et cela doit se voir.
Il est 14h passé, pressé et dans la crainte de ne pas avoir le temps de tout voir et de tout faire, je repars avec Rachid, direction la côte Ouest, par l’avenue Malakoff, St Eugène, Bain Romain, Deux Moulins, la Pointe Pescade, Baïnem, Guilloville et la Madrague.
Rachid Hammani, je l’ai connu sur le net six mois avant de partir sur le site de Marc Morell. Nous avons à peu près le même âge et il connaît bien tous les endroits où je désire me rendre. Nous passons par le bas de Bab el Oued, mon plus grand centre d’intérêt, j’aperçois ma rue Mazagran où nous irons demain matin.
Tout a changé. Presque toujours en bien. L’avenue Malakoff est devenue une large avenue bordée d’une esplanade, sorte de forum qui a été pris sur la mer. Dès le Bastion 23, anciennes résidences des Raïs et jusqu’à l’indépendance résidences d’officiers supérieurs, jadis Boulevard Amiral Pierre, un énorme forum englobe le Kassour, contourne Nelson, l’ancienne Icosium, débouche ensuite sur l’Algéria Sport et déborde du cercle militaire pour finir après le grand boulevard Malakoff sur le coté droit du stade de St Eugène qui se retrouve aujourd’hui à gauche de la route de la corniche.
Ce surprenant boulevard piétonnier avec ses caféterias et le grand hôtel Kettani donne à ce quartier qui était jadis plutôt désert, un air de promenade des Anglais.
La vue s’étend d’un côté sur l’Amirauté, toujours aussi belle, et de l’autre, sur Notre Dame d’Afrique. Au pied du jardin Guillemin, l’ancien bain Mataresse et Padovani ont été engloutis sous le béton. La gare de Bab el Oued et la Consolation ont laissé la place à une grande artère qui rejoint le boulevard Pitolet, passe devant la salle Pétrière et rejoint le quartier de St Eugène, avec en toile de fond, la même vue imprenable sur Notre Dame d’Afrique.
Ces aménagements ont donné à ce quartier un air de modernité en même temps qu’un atout touristique considérable où les points de vue sur la Casbah, Notre Dame d’Afrique et la côte ouest sont absolument étonnants.
Notre première halte fut la Pointe Pescade. Le Casino de la Corniche, propriété de l’armée est en parfait état de
conservation. Quelques centaines de mètres plus bas, déception de ne pas reconnaître le village de la Pointe Pescade qui est devenu une ville grouillante. Le Sport Nautique a disparu. La Plage de chez Franco est salle et déserte. Le centre ville est méconnaissable. L’usine des ciments Lafarge parait encore plus polluante. La maison de la jolie Jacqueline Bach a bien changé, pauvre Jacqueline tu serais bouleversée de revoir la maison familiale. Assez déçu, nous repartons de suite vers Baînem que nous dépassons sans que je m’en aperçoive. Cette énorme agglomération sans frontière qui s’étale de Bab el Oued à la Madrague me désoriente complètement. Et ce n’est qu’en découvrant le Cap Caxine, que j’annonce à Rachid que nous avons dépassé Baïnem. Nous nous arrêterons au retour, car il s’agit pour moi d’une étape incontournable.
Nous rentrons à Guilloville qui en apparence n’a pas trop changé puis à la Madrague qui continue l’agglomération de Guilloville. La Madrague est méconnaissable, une énorme agglomération qui s’étend du bord de mer jusqu’à Staouléli. Les champs sablonneux qui commençaient à 50 mètres des quelques villas et cabanons de la plage se sont transformés en quartiers assez cossus si l’on en juge à la richesse architecturale des villas dont certaines sont de véritables palais.
Le petit port à plus que doublé et il semblerait que les plages d’Alger dont nous étions si fiers commencent véritablement ici.
Repartant vers l’Îlot, d’où nous apercevons le phare du Cap Caxine nous retrouvons les constructions anarchiques qui défigurent le bord de mer qui jusqu’à St Eugène ne semble plus fréquenté des algérois.
En rentrant sur Baïnem, nous nous arrêtons à Baïnem-Falaise où j’ai passé de nombreuses saisons. Premier constat, toutes les clôtures des maisons et villas ont grimpé de deux mètres en hauteur. Derrière ces murs, il y a souvent les mêmes maisons. Dans la rue des Falaises deux algériens de mon âge viennent vers nous et je suis surpris de les entendre me citer tous les noms des anciens du quartier. J’espérais retrouver Kadour, il habitait cette maison à l’angle. Mes amis me disent qu’il habite aujourd’hui à Birmandres. Les hauts murs des habitations donnent une impression de rétrécissement. Les escaliers souvent abruptes accédant aux plages n’existent plus. Malgré une tentative l’accès aux criques est impossible. Des constructions sur les endroits d’accès et un dépotoir sur le seul escalier possible nous empêchent de descendre sur la plage. La belle vue que nous avions du haut des escaliers menant à la plage est complètement obstruée. Nos deux amis nous amènent vers tous les lieux que je leur indique et chaque fois c’est un peu la déception.
La plage mitoyenne au rocher troué, la plage des trois bancs est dans le même état. Les trois bancs ont même disparu. J’immortalise, pour une amie, par quelques photos la plage des trois bancs, une photo des deux frères, deux rochers à fleur d’eau à huit cent mètres de la plage. Encore là l’épicerie de Grisou, le moudchou que nous aimions bien et qui connu une fin tragique. Encore un dernier tour, un dernier regard et nous partons, c’est vrai un peu frustrés car, c’est à peu sûr, je ne reviendrais sans doute jamais à Baïnem.
Après avoir chaleureusement remercié nos deux amis de rencontre je repars cette fois assez abasourdi. Cet endroit de rêve était devenu un quartier triste, sale et populeux. Les rochers de notre enfance une immense décharge publique sauvage.
Cette première retrouvaille avec l’Algérie me déconcerte un peu et le retour sur Bab el Oued m’extirpe un peu de mes pensées. En passant par le centre ville de St Eugène puis par mon quartier, en remontant la rue Rochambeau, je peux apercevoir ma maison et mon balcon.
Je rentre à l’hôtel assez éprouvé par ce premier contacte avec l’Algérie, mon premier sommeil à Alger sera léger, heureusement la vue de la terrasse est superbe, la gentillesse du personnel d’une touchante délicatesse, et plusieurs chaînes algériennes de télévision dont Canal Algérie diffusent des programmes de qualité. La profusion des paraboles, qui agressent tous les édifices, font d’Alger la ville la plus francophone du monde. Ceci s’explique car après leur installation aucune redevance n’est demandée.
Baïnem,
Petit quartier de cabanons ou des familles simples vivaient à l’année voyait grossir sa population à partir de pentecôte pour devenir le temps d’un été, un quartier balnéaire.
Jamais un étranger au quartier ne venait troubler les habitudes des riverains qui au rythme des week end et des fêtes comme pentecôte ou le 15 août, sautaient sur toutes les occasions pour se retrouver autour de mounas, de paellas, de brochettes, de sardinades, etc…
Plusieurs familles aisées d’Alger, de Kouba et même de France venaient l’été, profiter des centaines de petites criques que morcelait une côte très escarpée et combien poissonneuse.
La plus belle maison appartenaient à la famille Thiare, une grande famille algérienne. Elle fut rachetée par une branche alliée de la famille Beghin, les grands sucriers et soyeux de Lyon. Jacqueline Beghin, une jolie petite blonde venait chaque année retrouver la même bande de copains et de copines pieds noirs et arabes. Le docteur et pharmacien Pozzo di Borgho de l’avenue de la Marne, possédait également une très belle villa, quand au reste, cela variait de maisons convenables aux plus simples petits cabanons qui même en tôles ondulées offraient toujours aux regards un air de vacances et de bien être que je n’ai plus nulle part retrouvé.
Nous étions privilégiés et chanceux d’évoluer dans ce décor de rêve ou certains jours de grand calme, la mer nous offrait l’étonnante impression de vivre dans le plus beau pays du monde.
Monsieur Papillon, surnom donné par son petit fils, l’ancien directeur de la BNCI, partait régulièrement à la pêche avec Boujemaa, son ami et partenaire de pêche. Quelques familles arabes dont la famille de Kaddour entretenaient d’excellentes relations et se retrouvaient régulièrement côte à côte sur la plage. Tout ce monde pourtant si différent semblait vivre en parfaite intelligence et dans un monde en paix.
Nous étions loin de penser que nous étions des colons, d’ailleurs savions nous exactement le sens et la définition de ce terme et l’ampleur de son impacte sur la vie Algérienne ?
Les pourrisseurs.
Ceux que les Pieds Noirs lucides appellent les « pourriseurs », avec leur poids, leur rayonnement, leurs pouvoirs, leur cours, leurs courtisans, leurs hommes de main, leurs alliances, leurs intrigues…
Ont-ils contribués à faire l’Algérie ? C’est certain.
Ont-ils contribués à défaire l’Algérie ? C’est certain aussi !
La Présence française en Algérie a favorisé un développement partiel du pays au profit d’une minorité de notables soucieux de défendre leurs privilèges. Ces hommes, la plupart du temps résidant en France, étaient peu nombreux mais maîtres économiquement du pays. Ils formaient un véritable lobby représenté à Paris par René Mayer et Henri Borgeaud.
En 1954, l'Algérie produisait 12 millions d'hl de vin, 692 000 t. de phosphates, 1 200 000 q. d'agrumes, 205 000 t. d'Alfa avec un C.A de 13 milliards.
les plantations de tabac couvrent 28 500 ha, un gisement de gaz annonce une grande aventure.
22000 colons se partagent alors 3 500 000 ha, 7000 d’entre eux détiennent des domaines de plus de 100 ha et accaparent plus de 2 millions d’ha soit 87% de toutes les terres cultivables.
A cette époque 13% des enfants arabes sont scolarisés. Pour ces partisans acharnés du maintien de l’Algérie dans son statut, dont le chef de file était Amédée Froger, le mot même de «réformes », est « inélégant et inopportun ».
Ces grands seigneurs du colonialisme, hommes sans lesquels il n’y a pas d’empire, mais par lesquels, inéluctablement, les empires finissent par sombrer, ne représentaient que quelques familles qui de tous temps, firent et défirent jusqu’en 1958, tous les jeux de la politique algérienne, aussi bien dans les plus petits villages du bled qu’à l’Assemblée Algérienne ou qu’à l’Assemblée Nationale française. Prétendant les défendre, ils allaient mener les Pieds Noirs au drame.
En 1954, quand éclate la rébellion, l’Assemblée Algérienne, née du statut de 1947, est appelée « la chambre verte ». Les agriculteurs, musulmans et européens y sont beaucoup plus représentés que les populations urbaines. La plus grosse masse du budget allait à l’agriculture qui comptait 22000 colons sur une population européenne de près d’un million d’âmes. Sur ces 22000 colons, une grande majorité vivait au dessous du seuil de la pauvreté.
Contrairement à ceux qui feront naître une légende qui voulait que chaque pieds noirs fut un colon milliardaire qui amenèrent le pays à la ruine, ces petits agriculteurs furent les véritables artisans de l’Algérie des campagnes, très proches de leurs ouvriers arabes et de leurs familles et par conséquent les premières cibles et victimes de la rébellion. Symbole de l’énergie, du courage, de la persévérance, la cinquième génération de ces entêtés petits colons allaient pouvoir cette année là, « Le 131 ème été », espérer peut être une récolte convenable, récolte qui n’aura pas lieu.
Les tracteurs privés de leur conducteurs assassinés au bout d’un champs, resteraient le symbole d’une situation irréconciliable. En choisissant la politique du pire, l’Algérie algérienne du FLN se coupait de ceux qui auraient pu assurer la continuité.
Germaine Tillon, ethnologue communisante et partisane de l’indépendance de l’Algérie donne des chiffres précis de l’implantation du grand colonat et confirme que l’Algérie de Papa, boutade ou réalité partielle donnera naissance à un mythe, repris et divulgué par une presse partisane qui en fit une légende gobée et consacrée par 50 millions de français.
Borgeaud, seigneur de la Tappe, était à lui seul une véritable institution. Avec 1000ha à Staouéli, 80 000 hl de vins par an, propriétaire des usines Bastos, de cimenteries, d’industries alimentaires, important actionnaire de banques et ainsi de suite… « En Algérie, à cette époque, on boit Borgeaud, on fume Borgeaud, on emprunte Borgeaud. » Cet ultra-conservateur disposait à Paris de moyens de pressions considérables pour mettre en place de hauts fonctionnaires comme ce fut le cas pour Jean Vaujour, chef de la police d’Algérie.
Humainement au dessus de tous les personnages de son rang, Borgeaud avait la meilleure réputation du gang des grands colons de l’Algérie coloniale . Il devait laisser sur son entourage un empreinte
teinté de paternalisme et était fort apprécié de son personnel.
Blachette, le roi de l’alfa, autre richissime propriétaire
vend la plus grande partie de sa récolte aux papeteries anglaises. Actionnaire de nombreuses entreprises, il s’était taillé une réputation libérale dont personne n’était dupe.
L’Alfa pousse en grosses touffes espacées sur les hauts plateaux. Les indigènes vêtus du classique burnous blanc arracheront l'alfa et le chargeront à dos de chameau. Il sera ensuite expédié en France et surtout en Angleterre. On l'utilise dans la fabrication de la pâte à papier.
13 millions d’anciens francs étaient le rapport d’une année de récolte d’alfa. Plante qui pousse à son gré et sur laquelle le roi de l’alfa paye une redevance de 75 centimes par tonne jusqu’à 100 000 tonnes et 25 centimes par tonne excédentaire. Jusqu’en 1956 cette redevance ne sera pas augmentée. Blachette vit entre Alger et Paris où il loue à l’année une suite « Au Prince de Galles ».
Propriétaire du Journal d’Alger, Blachette joue le jeu des libéraux. A l’Assemblée Nationale il dispose de 14 voix dont il est absolument sûr. Refusant une place de ministre, il pousse son dauphin, Jacques CHEVALLIER qui deviendra sous secrétaire d’état et maire d’Alger.
La campagne électorale de CHEVALLIER pour la mairie d’Alger sera : « Un toit pour chacun. » En, fait on allait poser ce toit, sur des murs dont les pierres provenaient des carrières Blachette à Forcalquier. Pierres que, par pleins bateaux, on transporte jusqu’à Alger, alors que la ville blanche dispose d’une carrière, située à flan de colline à Bab el Oued.
Raymond Laquière.
Vieux renard de la politique, maire inamovible de St Eugène, banlieue résidentielle d’Alger, n’était pas un fanatique défenseur de l’Algérie Française. Il rêvait plutôt d’une Algérie indépendante dont il aurait été le personnage numéro un. Mégalomane, démagogue, Laquière se prenait véritablement pour le personnage essentiel de l’Algérie.
Jacques Duroux, puissant sénateur, propriétaire de l’Echo d’Alger, journal de gauche, des Moulins de l’Arrach, des Cargos Algériens, du Domaine de Ben Dallibey. Son fils, défaitiste pour les uns et lucide pour d’autres, transféra la majeur partie de ses biens au Canada. Le journal d’Alger après avoir été le journal du front populaire devint celui de l’Algérie Française. Le beau fils de Jean Duroux, Alain de Sérigny allait devenir avec « L’Echo d’Alger », le plus grand défenseur de l’Algérie Française en donnant chaque jour une version partisane des réalités algériennes, poussant les populations à se raidir contre toutes réformes.
En Oranie Pierre Laffont, dans le constantinois Léopold Morel ou Gratien Faure furent les moteurs de leur département.
Laurent Schiaffino, le petit nab’s, autre richissime propriétaire, puissant sénateur, président de la Chambre de Commerce d’Alger et de la XXe région économique, transportait tout ce que l’Algérie importait ou exportait.
D’origine génoise, d’une famille de navigateurs installée à Alger bien avant la conquête, pour L.S l’Algérie ne fut jamais qu’un rivage d’où il surveillait la mer, assez indifférent à ce qui se passait dans son dos.
Amédée Froger.
Président de l’inter fédération des maires d’Algérie était Maire de Boufarik, haut lieu de la colonisation, ville symbole de l’extraordinaire acharnement des premiers pionniers qui transformèrent l’immense marécage de la Mitidja en vignobles, orangeraies et champs de tabac. A. Froger n’était pas un colon, mais sa position de président de la caisse de solidarité, qui avait pour objet de redistribuer sous forme de crédits les sommes provenant de la contribution payée par les communes, en faisait le défenseur et le porte parole du grand colonat. Il sera assassiné par le FLN en 1956.
Encore aujourd’hui nous rencontrons un nombre impressionnant de pieds noirs, presque toujours issus de milieux modestes, qui continuent de défendre l’indéfendable et de prétendre que le grand colonat ne fut pas ce que l’on en dit. L’histoire du nombre restreint de ces quelques familles qui se partageaient littéralement les ressources du pays est trop méconnue. L’intégralité de ces grands propriétaires, n’ayant plus rien à espérer de l’Algérie s’en allèrent dès les premiers années de guerre, laissant les populations et les naïfs qu’ils avaient manipulé pendant des années face à leur destin. Comme partout dans le monde, la discrétion qui enveloppe la vie feutrée de ces grandes familles est totale. Il est curieux de constater qu’aucun de ces « capitalistes » (termes employés à l’époque) ne fut inquiétés par le FLN, à l’exception d’Amédée Froger, tonitruant porte parole du grand colonat dont il ne faisait pas intégralement parti. Il fut assassiné par Ali La Pointe, rue Michelet à Alger.
Le jour « J »
Le lendemain, le retour à la maison fut l’épisode le plus troublant du voyage. J’en avais rêvé depuis toujours. J’en ressentais de plus en plus le besoin.
Mon arrivée, 44 ans après, rue Mazagran, aujourd’hui rue Lofti Benzine, ne passa pas inaperçu.
Repéré par deux commerçants, je fus de suite chaleureusement entouré par une dizaine de personnes. L’une d’entre elle alla chercher l’occupant du premier étage qui s’empressa tout de suite de m’inviter à venir voir la maison. Tant de gentillesse me troublait déjà. En entrant dans la cage d’escalier, rien n’avait vraiment changé. La rampe sur laquelle nous glissions du premier étage, les carrelages, l’odeur même du boulanger mitoyen. L’accueil de Mme Allouache et de son fils ne faillit à aucune règle de l’hospitalité algérienne. La maison me parut plus petite mais les transformations étaient telles que j’en fus presque déçu. A part le carrelage d’une chambre, tout à l’intérieure avait changé. Changé en mieux, en beaucoup mieux. Une décoration et un ameublement oriental se détachaient des murs carrelés à hauteur d’homme. Une magnifique transformation, à mille lieues de la modeste maison d’une simple famille pieds noirs de Bab el Oued des années cinquante.
La rue Mazagran
En racontant à Mme Allouache que ma grand-mère avait laissé sa maison à une dame Aïcha, qui était fort appréciée de toute la famille, j’eu l’agréable surprise de m’entendre dire qu’elle était sa belle fille et le jeune homme qui m’avait invité à monter était son petit fils. Ce que j’espérais secrètement depuis longtemps mais sans trop y croire venait de se réaliser. A cet instant, je dus sortir sur le balcon refouler quelques sanglots difficiles à dissimuler et je savais déjà que mon voyage à Alger était réussi. Et là, j’ai craqué.
Retrouver la famille d’Aïcha fut un moment d’intense joie en même temps qu’une émotion assez vive. J’étais là, 44 ans après, le cœur serré, avec des souvenirs bouleversants, devant des inconnus qui avaient comme moi des larmes pleins les yeux. Ha ! si Aïcha et ma grand mère avait pu être là!
Ces moments, il m’est plus facile de les écrire que de les raconter car l’émotion est encore bien présente, bien vivante. Les retrouvailles le lendemain avec son fils, M’Barek, nous ont fait revivre le temps d’un repas familial, une époque à jamais révolue mais combien présente dans nos mémoires et que chacun gardons jalousement et précieusement enfouie en nous même.
La visite de Bab el Oued, où règne une effervescence due à la surpopulation, se passe sans problèmes. Les gens qui nous croisent devinent qui nous sommes, les visages sont ouverts et presque toujours souriants, la visite des commerçants est ponctuée de marques de bienvenue, visiblement tous sont contents de nous voir. La jeunesse comme les plus anciens qui n’ont rien connu des Pieds Noirs nous regardent semble t il avec intérêt. Certains osent une approche. Tous sont curieux.
Dans un climat de sécurité absolu j’ai pu sillonner toutes les rues avoisinantes des trois horloges, hors la partie située entre les trois horloges et la Bassetta qui a été complètement détruite par les inondations et qui est devenue un grande esplanade, je peux affirmer que rien n’a vraiment changé. Deux demi journées dans mon ancien quartier m’ont permis d’arpenter toutes les avenues, rues et ruelles des différents quartiers, prenant chaque fois en photo des habitations d’amis ou les endroits que nous fréquentions le plus à l’époque.
Sur la place des trois horloges, un groupe de pieds noirs vint à ma rencontre. Après avoir échangé quelques impressions sur le pays qui bien sûr concordaient, l’un d’entre eux me dit devoir aller à deux pas, rue des Moulins, photographier la maison de l’un de ses amis. En souriant je lui répondit que c’était déjà fait car j’avais deviné qu’il s’agissait de la même maison de notre ami commun Paquito. Cette journée à Bab el Oued fut un moment fort du voyage et se termina par une dernière remontée de l’avenue de la Bouzarhéa où je voulais photographier le magasin de madame Sebaoun, notre doyenne à la Réunion.
Ce court périple dans mon ancien quartier me ramena à une époque où nous tous, enfants de Bab el Oued, avions une éducation civique où le premier devoir était le respect du pays, de nos familles et de nos maîtres.
Mes compères, Pierrot Vuolo, le cousin de mon cousin Pierre Henri Papalardo, Jacki Camillerri, Roland Bouaziz et bien d’autres, étions les deuxièmes, troisièmes ou quatrièmes générations de pauvres gens, venus tenter leur chance en Algérie. Aucun d’entre nous était vraiment pauvre, aucun n’ était vraiment riche ! Nous ne pensions pas être socialement privilégiés, pas même de petits, voir minuscules bourgeois et si nos grands parents et nos parents s’habillaient les jours de fête en dimanche, les jours de semaine la plupart d’entre eux remettaient leur bleu de chine pour aller à l’atelier ou en mer, gagner leur vie.
Cette définition réaliste du petit peuple de Bab el Oued devait avec l’exode prendre un relief bien amusant, faisant le plus souvent de ces descendants de Cagaillous, de riches colons ayant laissé des propriétés imaginaires, que certains d’entre nous, hâbleurs, mythomanes et bonimenteurs, encore aujourd’hui continuent de regretter.
Quand j’étais p’tit à Bab el Oued…
Longtemps avant la chcoumoune elle s’abatte sur nouz’aut, y avait un quartier qui s’appelait Bab el Oued, une rue qui s’appelait la rue Mazagran…
Quand j’étais p’tit à Bab el Oued, j’étais tellement mauvais dans la langue de Molière que ma mère, qu’elle était pleine de certitudes sur mon avenir, qu’elle me faisait donner des leçons particulières de Français avec le seul intellectuel du quartier, un universitaire professionnel, d’un âge avancé, que les diplômes et les études, elles arrêtaient pas de le poursuivre.
En plus il était beau comme un dieu grec ou romain que Germaine Réalé, la boulangère, elle s’le mangeait avec les yeux chaque fois qui venait acheter son pain. A Bab el Oued dès que quelqu’un y parlait bien français, on disait tou’d’suit : « c’est un fils de famille », « c’est des gens biens », à croire que tous lez’ autes c’était des bâtards ou z’avaient pas de famille ou encire qu’ on était des gens mauvais ou en tous cas pas biens !
Ce « cas particulier » que tout le monde y’s le considérait déjà comme un polytechnicien, en quequ’sorte, c’était une anomalie par rapport aux z’autes z’habitants du quartier.
En plus, il avait un nom bien français qui n’avait rien de commun avec les z’autes patronymes pour la plupart judéo-arabo-napolitano-andalous et maltais. A l’époque les noms qui z’étaient français y z’impressionnaient toujours un peu et y provoquaient toujours un léger complexe de supériorité que nous on avait pas !
Ce babao, y pouvait pas s’appeler comme tout l’monde, Ramos, Esposito, Chouraki ou Pappalardo ! Hé ben non, cuilà y s’appelait E…d’un nom aussi distingué que les élégantes de Bab el Oued elles mettaient la bouche comme le cul d’une poule pour le prononcer. (comme c’est une histoire véridique, j’peux pas écrire son nom à ce fartasse.)
Ses allures trop polies elles nous paraissaient suspectes et si on ne lui connaissait pas une jolie fiancée bien de chez nous, on l’aurait vite catalogué dans une discipline que à Bab el Oued c’était pas trop à la mode et que aujourd’hui on peut même plus dire le nom. Comme il a dit le grand « hartail », vous m’avez compris !
Un jour, cet éminent étudiant à la noix, qui devait en avoir plein le bas du dos de moi, y l’envoya à ma mère un mot qui manqua s’évanouir en le lisant. ( pas le mot, ma mère) Ca disait plutôt grosso que modo a peu près ça. « Mââdââme, il faudrait que vous vinssiez vous rendre compte par vous-même du travail de votre fils, pommade, salutations, etc…en pur frangaoui dans le texte.
Bo po po ! la purée ! comment c’est qui parlait celui là ! Y manquait plus qu’un peu de bougie rouge, comme y avait sur les boules de fromage de François Apicela, sur la lettre pour faire comme dans les trois mousquetaires quand il lui font le coup de zouzguef à Milady.
Pour nous grands passionnés des classiques qui passaient régulièrement au Trianon, au Majestic ou au Marignan, c’était Louis XIV qui parlait La Pompadour…Sacha Guitry dans « Si Versailles m’était conté », que ma grand-mère elle en ratait pas une, y parlait un peu comme ça !
Comme en rentrant à la maison j’avais montré à tous les commerçants du quartier qui m’avaient vu naître cette saloprie de lettre et que chez nous tout y l’était prétexte à la rigolade, la nouvelle elle se répandit plus vite que le téléphone arabe et d’un coup tout le quartier y se mit à employer des locutions et des subjonctifs que les plus imparfaits y z’étaient ponctués de gros éclats de rires.
Cette missive à domicile elle impressionna beaucoup ma mère qui n’était pas insensible à la belle littérature et au jour J , endimanchée comme pour aller à la fête des rameaux chez le père Streicher de St Vincent de Paul, elle se présenta chez ce louette de précepteur.
Aie Manman !...Avec des mots choisis et très compréhensibles ce falso de beau parleur, il a expliqué à ma mère que j’étais ni Einstein, ni Albert Albert Camus, que j’étais le roi des cagnélos. Et patati et patata que moi je savais plus ou me mettre.
Tout ça qui l’a dit, y avait que moi qui le savait déjà depuis longtemps.
Moi j’avais pas inventé la poudre, mais lui ce fartasse il avait pas inventé la diplomatie !
A partir de ce jour où il m’a fait perdre la figure, y pouvait plus traverser le quartier sans déclancher de gros éclats de rires, même Germaine, quand y venait acheter son pain, elle lui tournait la tête. Je ne savais pas à cette époque que ce mauvais sentiment s’appelait de la rancune et que cette brave encyclopédie vivante, bien avant la grande Zorha, y m’avait appris ce que c’est la rabbia contre quelqu’un.
La vie elle continuait de s’agiter allègrement jusqu’au jour où une bande d’abrutis y z’ont décidé de faire la révolution.
Un jour que ma mère elle m’a toujours pris pour le commissionnaire de la maison elle me demande d’aller chez Monsieur Fernand acheter un litre ou un kilo de peinture rouge au détail pour repeindre comme chaque année les pots de fleurs du balcon.
En dessous du rez de chaussée de Mme Ramos, monsieur Fernand, qui était le concurrent direct de Monsieur Narcisseau ( la casquette en moins), il tenait une sorte de cave qui lui servait de magasin et où il fallait rentrer en se pliant en quatre. Il se trouvait exactement à l’angle de la rue Mazagran et de la rue Rochambeau juste en face de l’école.
Avec sa gentillesse habituelle Fernand y me donne un kilo ou un litre, manarhaf, de sa meilleure peinture rouge, en vrac s’il vous plait, et je repars un pot dans un main et un pinceau dans l’autre.
De tout p’tit, les arts en plastic y m’ont toujours plu et en rentrant dans le hall d’entrée que chez nous on appelait la cage d’escalier, une pulsion artistique soudaine elle me fait donner un coup de pinceau figurativement sanguinolent sur le mur juste en face de la porte de service du four du boulanger. Oubliant cet épisode pictural j’allais aider ma mère à repeindre ses pots et accidentellement les voitures de Monsieur Lévy, le tôlier du dessous que comme elle dirait ma grand-mère « que Dieu y repose son âme. »
Monsieur Lévy je l’aimais bien, il aurait pu être un personnage de Marcel PagnoL si ce célèbre écrivain y l’avait plus aimé l’anisette que le pastis. Grand buveur d’anisette, il se rendait plusieurs fois par jour chez Monsieur Camps de la rue Cadix, satisfaire ses envies. Monsieur Henri comme on aimait l’appeler me rendait bien cet amour presque paternel car depuis mes premiers pas jusqu’à l’âge de 14 ou 15 ans, je lui avait fais pipi dessus une pagaille de fois, balancé mes jouets, mes ballons, mes patins à roulettes pour finir le plus souvent dans son atelier d’où je ressortais dans des tenue d’apprentis qui faisaient bondir ma mère et qui le rendait fou de joie.
Revenons à notre saloprie de peinture. Une heure après les faits, un tumulte, une barouffa, un tchicklala du tonnerre y résonnait dans l’entrée de l’immeuble. De nombreux locataires y tentaient d’analyser et d’interpréter avec le plus grand sérieux mon œuvre artistique de plus en plus sanguinolente et qui selon les dramaturges du quartier qui z ‘étaient beaucoup plus nombreux chez nous qu’à la comédie française, y z’avaient décidé que cela ne pouvait être qu’une condamnation à mort du FLN.
En 1954 ou 55, les premiers attentats dans les rues d’Alger et de Bab el Oued y z’avaient marqué les esprits. On sentait monter la rabbia que les plus patriotes y z’ont toujours gardé. Notre quartier y l’avait pas été épargné mais ces premiers troubles qu’ y z’étaient que de l’opérette à côté de ce qu’on allait connaître, y commençait à réveiller des sentiments qu’on aurait mieux fait d’ignorer.
Ma mère qu’elle connaissait mes dons artistiques, elle alla vite rassurer tous ces braves gens que le bâtard qui avait fait peur à tout le monde y l’avait déjà pris une calbote.
La vie à Bab el Oued elle avait en permanence de quoi alimenter les soirées, les veillées comme y disent les français que chez nous la veillée c’est uniquement pour les morts. Sauf que chez nous les veillées, pas celles où on pleure, cella qu’on rigole, on s’les faisait sur les terrasses, les balcons ou devant la porte. Les jours de fêtes, l’un d’entre nous allait chercher des glaces chez Grosoli, pendant le Ramadan c’était la fête des makroud et des zlabias et le temps s’écoulait comme ça jusqu’à quand y z’ont commencé la rébellion. Une rébellion où les terroristes y z’avaient plus peur que les victimes. Allez sa’oir pourquoi ! Depuis leur connerie de révolution elle est pas encore finie et nous parce qu’on nous a fait croire qu’on était des purs français, au lieu de tout faire pour rester chez nous, on a fait tout le contraire de ce qu’il fallait pour permettre à ce grand bâtard de De Gaulle de nous jouer le plus grand tour de couillon du siècle.
La suite vous la connaissez, et comme elles disaient mémé, Rhaïb, on n’est parti une main devant, une main derrière. De Gaulle , ce grand coulo de soldat d’opérette il a remporté une éclatante victoire sur sa propre armée qu’il a décimé de la tête aux pieds. Ce grand diplomate visionnaire y s’est fait niqué l’sahara, il a mis dans la merde un bon tiers des populations que les combattants de la dernière heure y z’ont taillé en pièce et il a légué à la France un héritage que nous finalement on aime bien. Les arabes.
Quand à nous, il nous restait plus qu’à partir et à nous installer dans une bulle nostalgique que d’abord les pathos y z’ont pas compris, et puis chouïa chouïa les arabes y sont arrivés en masse, peut être venaient ils nous rechercher car la vie sans nous c’était peut être pas si vivable que ça ! Mais devant notre insistance à vouloir rester dans l’hexagone y z’ont fait comme nous et y z’ont plus voulu repartir.
Depuis y se passe pas un jour si on pense pas à notre Algérie. Chaque fois qu’un arabe y rencontre un pieds noirs, eh bien c’est fantastique et même si on ne se dit pas encore tout , on s’en dit beaucoup plus qu’avec les frangaouis. Et dans leur cœur d’exilés comme dans le notre, c’est un peu comme un feu d’artifice !
Quarante cinq après, y voudraient qu’on retourne…y
faudrait pas qui le répète trop souvent car à regarder la France de si près, y se peut que l’exode elle recommence dans l’aute sens. Mais ça c’est une aute histoire que je vous réserve pour plus tard.
Retourner à la pêche avec Mustapha, aller faire le marché à Bab el Oued, descendre à la pêcherie chercher des crevettes… Regarder les hirondelles dans le ciel de Nelson…
Allez, on va commencer à pleurer sur not sort… et comme y disent les juifs, l’année prochaine à Jérusalem, nous on s’ le pense même si par pudeur on s’le dit pas, l’année prochaine à Alger…. Inch’allah.
Comment croire à l’abandon alors que l’armée a gagné sur le terrain, que les combattants de l’intérieure sont disposés à négocier, que le pétrole coule à flots et que la bombe atomique explose au Sahara ?
Qui se soucie à Paris du sort qui sera réservé à un million de pieds noirs et aux populations algériennes qui ont cru en la parole la France, colportée par des officiers français dans les plus lointaines mechtas.
Le premier devoir d’une nation, de son chef, n’est il pas de penser au devenir de toutes ces populations fidèles menacées d’une Saint Barthélemy ?
De Gaulle avait décidé de conclure. Il fallait en finir. Vite.
Trahissant avec une fourberie à peine dissimulée, l’entrevue de Rambouillet plus connue sous le nom de l’affaire Si Salah, il était significatif que De Gaulle ne voulait pas « d’une paix des braves ». Il allait volontairement laisser ses seconds saboter « cette paix des braves » et raviver l’intransigeance des combattants de l’extérieure. (le procureur général Besson monnaiera «la tête du général Challe » contre le silence des avocats lors du procès. Les témoins de cette affaire côté Algérien seront liquidés par l’intermédiaire de Krim, côté français, les responsables Bernard Tricot, Michel Debré et Edmond Michelet se tairont.)
En compromettant ouvertement les chances d’une paix honorable qui aurait peut être pu éviter les évènements sanglants qui suivirent, De gaulle ratait l’occasion de terminer honorablement sa guerre et permettre à l’Algérie de survivre, dirigée par une élite existante. Il relançait également les incessants encouragements et victoires diplomatiques accordés depuis plus d’une année généreusement au FLN.
De Gaulle avait choisi ses interlocuteurs, il remettrait le pays clés en main aux plus médiocres des résistants du FLN, leur laissant dès fin 61 une liberté de mouvements qui fut employée à terroriser les pieds noirs. Des brigades spéciales furent dépêchées dans les grandes villes pour combattre les pieds noirs, cela sans la moindre protestation des médias ou de l’intelligentsia parisienne. Ces barbouzes, condamnés par l’OAS seront tous condamnés à mort et à peu près tous exécutés, à l’exception de leur chef, Lucien Bitterlin, aujourd’hui président de l’association France-Agérie.
Le putsch des généraux, baroud d’honneur et chef d’œuvre d’incapacité aura permisaux plus honnêtes des officiers français de manifester leur refus de se parjurer.
Ils avaient promis sous serment devant les nombreuses populations ralliées de ne jamais les abandonner et « que jamais le drapeau vert et blanc ne flotterait sur Alger. »(C.De gaulle)
Le Colonel Elis Denoix de Saint Marc
« Monsieur le Président, on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir, c’est son métier. On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer. »
Le mystique colonel Hélie Denois de Saint Marc résumait en courte phrase l’attitude qu’aurait du avoir l’ensemble du corps des officiers de l’armée française.
Le papy putsch du 22 avril ne fut qu’un simulacre de la part de ceux qui avaient choisi de ne pas faire couler du sang français.
Serrano Suner, beau frère de Franco et ancien ministre espagnol dans une lettre au général Salan manifestait ses inquiétudes.
« Votre affaire est perdue. »
« Les généraux à Alger, manquent d'énergie. Ils n'ont fait fusiller ni Morin, ni Gambiez. Franco, lui, n'aurait pas hésité. »
Un autre notable espagnol, vieux compagnon du Caudillo confiait au général Salan.
« Je crains que vous, Français, ne soyez trop civilisés pour faire une révolution. Nous sommes étonnés. A notre arrivée à Tétouan, l'état- major de la place refusait de suivre. Les officiers furent fusillés en quelques minutes. Oui, vraiment, nous sommes très inquiets pour vous »
Alors que les moteurs des Nord Atlas en état d’alerte attendaient les ordres d’Alger pour s’envoler pour Paris, le général Challe préféra se rendre et éviter à la métropole les risques d’une guerre civile que De Gaulle s’empressa de transposer avec brutalité et sauvagerie dans les grandes villes d’Algérie. La curie allait commencer. Les pieds noirs et l’armée allaient payer chèrement la mollesse de leurs chefs. Aujourd’hui toutes les hypothèses sont permises, aucune n’aurait pu être plus sanglante que la répression inhumaine et barbare que nous avons subi. Le bilan des morts après le cessez le feu avoisine les 120 000 morts.
La mollesse des généraux putschistes face à la détermination d’un homme capable du pire allait mener l’insurrection à l’impasse et quatre vieux généraux en retraite ne viendront pas à bout de l’arrogance, du cynisme et de la détermination d’un habitué du fait.
La détention confortable en casernement des représentants du pouvoir gaulliste fut l’un des premiers signes de mollesse que le locataire de l’Elysée s’empressa d’exploiter par une intervention télévisée en tenue de général qui termina de convaincre les indécis.
Un autre scénario mené par les jeunes et prestigieux colonels aurait il eu plus de chances d’aboutir ?
Le bilan d’une guerre civile très improbable en France aurait il été plus lourd.
Qui peut répondre objectivement à cette question ?
Face aux réels bilans, faire pire aurait été difficile !
Alger, Alger…
La visite de la ville d’Alger doit se faire à pieds car la circulation est vraiment impossible. Départ vers 9h, nous traversons le square Nelson, les marchands de légumes avec qui je m’arrête parler me font un accueil très amical et il m’est difficile d’abréger ce sympathique moment. Passé le lycée Bugeaud, la rue Bab el Oued, coupée en deux par les inondations ne présente que son côté droit. A la hauteur de l’église St Victoire, qui était jadis une mosquée et qui l’est redevenu, nous prenons les escaliers de la Casbah où je découvre un brocanteur chez qui je reviendrai acheter des objets. Je reviendrai également visiter plus longuement ce quartier qui semble t il est dans un état de délabrement épouvantable, puis nous rejoindrons le haut du jardin Marengo et les escaliers de Bd de Verdun qui monte vers la Médersa et la prison Barberousse.
Plus nous montons, plus le panorama de cette partie d’Alger apparaît, dans toute sa splendeur. Nous avons là une part de fierté qu’à Alger nous n’avons pas à manifester car elle se lit sur tous les murs et dans le comportement de tous nos frères algériens. Nous redescendrons vers la rue Randon et le marché de la Lyre pour atteindre le tournant Rovigo puis la rue d’Isly. Rue Randon, un marchand de gâteaux nous offre gentiment des m’kalblouze. Dans la rue un homme d’une soixante d’année, ami de Rachid nous interpelle de loin. « Bienvenue chez vous » me dit il, puis me prenant par le bras, « dites aux pieds noirs qu’on les aime ! » des propos qui provoquent le plus souvent des sanglots et des émotions difficiles à refouler.
Dix fois, cents fois, des gens tout à fait anonymes, rencontrés par hasard dans la rue, chez les commerçants, dans les services administratifs manifestent et traduisent des paroles, des sentiments et des attitudes fraternelles. Une belle leçon d’humilité et de fraternité d’abord pour nous même et par dérision pour « les français de France » qui n’ont jamais extériorisé jusqu’à aujourd’hui de telles attitudes à notre égard. Etions nous tellement si différents d’eux ?
A l’extrémité de la rue de Chartres, en face du vieux grenadier dont les mosaïques ont été blanchies, existait au numéro un de la rue de Chartres, une vielle bâtisse qui avait du être il y a bien longtemps une maison arabe assez bourgeoise. Mon père y était né en 1921. Au début des années 1900 le centre d’Alger se situait entre la place du cheval et le square Bresson et certainement cette maison, à l’époque, avait du être transformée pour loger des français. Par la suite, dans les années 50 ce quartier était devenu l’axe principale d’accès à la basse casbah et avait perdu de son standing. Cet immeuble était devenue une bicoque presque insalubre. Un vieux monsieur, installé devant la porte, intrigué par ma curiosité m’aborda gentiment pour me demander les raisons de cet intérêt particulier. Lui expliquant le pourquoi des choses, il m’avoua être depuis toujours le propriétaire et me fit revisiter les lieux qui avaient été complètement remis à neuf.
Nous arrivons sur la place Abdel Kader, L’Emir, encore un patrimoine que nous avons en commun avec les Algériens, remplace Thomas Robert Bugeaud de la Piconnerie. A droite, la cinquième région, en face l’immeuble du Bazooka, en bas le Novelty et le Milk-Bar. Le petit bassin en mosaïque a cédé la place à l’imposante statue de l’Emir. Une belle place qui s’ouvre sur les deus axes de la rue d’Isly d’où nous apercevons au loin, d’un côté la Grande Poste, de l’autre le début du tournant Rovigo.
L’esplanade de la Grande Poste. Là un autre pincement au cœur. Sur ce lieu historique et théâtre de nombreux évènements dramatiques, vous ne pourrez éviter de revenir un demi siècle en arrière et d’avoir une pensée pour les 82 victimes de la fusillade du 26 mars.
Jusqu’à présent ce qui m’a le plus frappé dans ce bel Alger qui n’a pas tellement changé, c’est la blancheur des bâtiments dont les volets sont peints en bleu. Cette excellente initiative donne une luminosité supplémentaire à cette ville déjà éclatante de lumière. La remonté de la rue Charles Péguy m’amène vers l’Ottomatic et les facultés, le tunnel et le début de la rue Michelet que nous arpentons jusqu’au parc de Galland et au musée du Bardo. Après un détour obligé sur la cathédrale, certainement la plus horrible construction d’Alger, nous redescendons sur la ville en empruntant le tunnel des facultés qui débouche sur l’avenue Pasteur, puis sur le monument aux morts qui dort depuis quarante cinq ans sous une chape de béton. Ce qui est frappant dans cette nouvelle version du monument actuelle, ce sont ces deux points serrés au bout de deux bras en forme de victoire, geste gaullien qui ne manque pas de rappeler le geste dérisoire qu’avait eu quelques dizaine de mètres plus haut, sur la balcon du Forum le plus illustre des menteurs. A se demander si l’ironie du sort n’avait pas voulu commémorer l’ évènement et symboliser le plus sordide coup d’arnaque de l’homme du 18 juin.
Ce triste monument, véritable œuvre d’art à la gloire des français et des musulmans sera certainement un jour réhabilité pour devenir le monument aux morts de tous les morts d’Algérie, de la conquête à nos jours. Pour cela il faudra attendre que des hommes aussi dévoués que courageux osent affronter l’histoire dans le plus grand respect mutuel des peuples de France et d’Algérie. Et là nous applaudirons !
La redescente par l’ancien boulevard de la république, la Préfecture, la Mairie, l’Aletti avec une vue sur l’une des plus belles rades du monde est un spectacle dont on ne se lasse pas. Le port s’est fortifié, il semble en pleine activité. De nombreux bateaux attendent en rade d’Alger le moment d’accoster. Ce point de vue exceptionnel et incontournable a toujours été envoûtant. Dans le prolongement de ce magnifique boulevard se profile la nouvelle mosquée, Djemma El Jdid et la Chambre de Commerce, dont la blancheur émerge d’un ciel bleu comme il en existe qu’à Alger.
La rentrée sur El Kettani par le boulevard Amiral Pierre est interrompue par une halte chez Rachid qui habite au dernier étage du premier immeuble de la pointe de l’Amirauté d’où la vue est imprenable. C’est encore un endroit fantastique que je vous recommande de ne pas manquer si vous décidez d’aller revoir Alger. Rachid me présente sa famille à qui il a du raconter notre aventure de Bab el Oued où je l’ai également senti très ému. Cette famille algérienne fait désormais parti du cercle de mes proches et j’espère qu’un jour je pourrais , en retour, leur témoigner et leur rendre, avec la même fervente amitié, tout ce qu’ils m’ont apporté au cours de ce voyage qui sans Rachid n’aurait pas eu le même éclat.
Ce retour dans ma ville où chaque détail, chaque coin de rue, chaque rencontre me ramène à un demi siècle de distance est très éprouvant. Bons et mauvais souvenirs s’entremêlent avec bien entendu un net avantage pour nos souvenirs heureux. Cette chance que nous avions de « tout prendre à la rigolade » nous a permis dans les heures les plus sombres de garder l’immense espoir de reprendre une revanche sur la vie. Cette revanche, la plus belle qu’il soit, fut d’avoir montré à ce vieux peuple fatigué et inhospitalier qu’est le Français, qu’en retroussant énergiquement nos manches, l’avenir continuait de nous appartenir.
Cette fierté rajoutée à nos qualités généreuses de pionniers nous a permis de nous distinguer dans de nombreux domaines.
Quand j’étais p’tit à Bab el Oued… suite.
Comme je crois l’avoir déjà dit quequ’part, j’habitais à Bab el Oued, au n°7 de la rue Mazagran. C’est là que je suis né, dans la chambre de ma grand-mère, une maîtresse femme qu’on disait alors, que tout l’monde y s’tenait un sousto( le sousto, c’est la peur) d’elle à plus d’un kilomètre à la ronde.
Cette rue Mazagran, que dans ma tête et mon exil, c’était devenu une large avenue, elle partait du haut du cinéma le Marignan pour finir en bas des escaliers vers la mer du côté de l’avenue Malakoff. C’est fou comme elle a rétrécie depuis !
J’sais pas si vous avez fait « enttention », mais chez nous les noms des rues elles étaient plutôt à la gloire de la France. On aurait jamais pensé à l’époque baptiser nos rues et nos avenues du nom des héros des révolutions prolétariennes ou des écrivains lubriques aux mains sales.
Notre quartier c’était des noms qui chantaient bien la France, Rochambeau, Durandeau, Suffren, l’avenue des Consulats, de la Marne etc, pas de rue Lenine, Staline ni de rues de défaites que seul le nom y l’aurait déclenché une émeute chez les anciens combattants que déjà on avait tous la haine des anglais qui nous avaient brûlé Jeanne d’Arc et dont l’honneur y fut sauvé par Alphonse Halimi. Pour Vercingétorix c’était pareil, comment ce gaulois de merde y s’était fait arnaqué par Jules César ? Même si ça faisait un peu plaisir aux italiens.
Plus chauvins, plus français que nous, à l’époque, même en France, tu trouves pas ! (après on s’est aperçu qu’c’était vraiment vrai, mais c’était trop tard !)
Mon quartier ou plutôt mon territoire y s’étendait de chez Monsieur Narcisseau au nord jusqu’ au café Cadix au sud pour la rue Rochambeau, coupant les rues Koeklin, Mazagran, Dombasle et Cadix que la moitié elles z’existent plus à cause les inondations.
A propos du café Cadix, Pierrette Camps, la fille ainée du patron que aujourd’hui elle habite à Miami, elle me racontait que quand elle petite, Albert Camus qui travaillait à Alger-Républicain, celui qui s’est pris deux ou trois fois une strounga, y venait chaque matin boire un café chez son père. Albert, c’était en queque sorte une relation à Pierette. ( cette anecdote est bien vraie comme tout le reste d’ailleurs)
De nombreux personnages y z’ habitaient ces rues, rejouant chaque jour avec les mêmes mimiques les personnages qu’ils auraient voulu être. Ces scènes souvent burlesques se terminaient toujours pour la plus grande joie des habitants, dans des fous rires ou devant une anisette.
Les plus célèbres, Baboeuf, Martoune, Di Mimi ou François Apicela jouaient chaque jour, comme en véritable représentation, des rôles d’homme d’affaires, de durs ou de don juan.
François Apicela, une sorte d’Escartefigue façon Bab el Oued, était le plus mauvais coucheur du quartier, toujours en casquette, une large ceinture espagnole sur un tricot marin, ce brave homme officiait sous les yeux de sa redoutable et corpulente femme qui trônait à l’autre extrémité de l’épicerie au milieu des rayons d’ anchois encore en fûts, des harengs, des grandes cuves de vin et de la pompe à pétrole. Mélangeant dans une odeur de fondouk tous les parfums de notre jeunesse, la mère Apicéla, qui avait une machine à calculer, détraquée toujours à son avantage dans la tête, vendait une des meilleures soubressade de Bab el Oued.
Maurice le sacristain était également une figure du quartier, une forte claudication en avait fait le bras droit du père Streicher, autre personnage aussi turbulent qu’incontournable. Ce merveilleux curé, plus efficace et moins comique que Don Camillo, distribuait à tours de bras, autant d’absolutions que de calbottes ou de coup de pieds au cul. C’était une véritable terreur. Le dimanche, j’me rappelle comme si c’était hier, il apostrophait ses fidèles en rappelant à ces dames que la mess c’était autre chose qu un défilé de mode. Après l’indépendance, il revint plusieurs fois de son Alsace natale à Marseille pour marier quelques enfants du quartier.
Dans ce monde qui vivait dans la rue, le moindre incident, prenait des proportions théâtrales insoupçonnables.
Ma grand-mère, qui aurait pu être adjudant ou clairon chez les zouaves, était une jeune vielle. Elle se levait le matin au z’ aubes naissantes et avec une délicatesse recherchée, à coup de claquements de portes, de bruits de vaisselle, de casseroles et de réflexions fortes en décibels, s’arrangeait à réveiller la maison en moins dix minutes. La préparation des repas commençait très tôt et parfumait agréablement ou abominablement l’atmosphère selon qu’elle préparait du choux fleur, des tripes ou du couscous. Venait ensuite le nettoyage quotidien de la maison qui se faisait à grande eau dans toutes les pièces et dont le trop plein souvent excessif allait se déverser par les balcons sur Monsieur Lévy, (toujours le même), et sur son fils Claude qui chantait à tu tête en cognant les carrosseries pour les redresser. Monsieur Lévy, pourtant un personnage pas facile, après plusieurs tentatives, avait pris le parti de ne plus rien dire de peur de recevoir en suppléments certains ustensiles qui auraient pu être volontairement contendants.
Bab el Oued
La matinée passait ainsi avec des intermèdes qui variaient selon les jours. Mohamed le commissionnaire du quartier, le matin assez tôt, portait régulièrement le journal, et venait mémoriser la liste des commissions, car bien évidemment il ne savait ni lire ni écrire.
Ce jeune homme qu’on appelait Temtem, à cause d’un bégaiement épouvantable qui déclenchait souvent des crises de rires pour nous et une crise de nerf pour lui, était l’homme à tout faire de toutes les grand mères du quartier. Les comptes interminables de ces impossibles transactions se terminaient presque toujours, pour le principe, par des scènes tragi-comiques d’où le pauvre commissionnaire ressortait plutôt essoufflé. Certains esprits complExés, aujourd’hui nous traiteraient de racistes !
Vers onze heures et seize heures passaient les marchands d’habits, sorte de brocanteurs qui rachetaient pour trois fois rien tout et n’importe quoi, pour vue que le prix soit bas.
Deux « soulards » qu’on appelait des « gazistes » ou des « kilos » faisaient partie de cette faune protégée. Saïd et Kadour connaissaient tous les habitants du quartier
chez qui ils pouvaient récolter en portant un panier ou en déchargeant un véhicule les quelques pièces qui leur permettraient d’acheter leur litre de vin ou leur ration d’alcool à brûler.
L’après midi, après la plus forte chaleur, généralement vers 15h 30, les nombreuses dames du quartier passaient au balcon et y papotaient jusqu’ en fin de journée, le temps de se remettre vers 18 h devant les fourneaux et préparer le repas du soir.
Ainsi passaient les journées de la plupart de ces mères de famille qui régnaient sur leur maison en despote. Les maris et les enfants, au travail ou à l’école avaient une intendance parfaite et un mode de vie simple certainement identique à tous ces peuples latins, arabes ou juifs du bassin méditerranéen.
Je me souviens d’une anecdote que l’on raconte régulièrement dans la famille depuis plus d’un demi siècle et qui chaque fois nous comble de joie en déclanchant toujours les mêmes fous rires.
Une fin d’après midi, vers 18h, ma marraine et ma grand-mère qui depuis trente ans occupaient, été comme hiver, les deux strapontins de l’observatoire de notre maison, se rendirent compte qu’une dame, qui devait avoir rendez vous au coin de notre rue, manifestaient des gestes d’impatience. Comme rien de ce qui passait dans la rue n’échappait à ces esprits observateurs et critiques « que Hercule Poirot c’était un amateur à côté, » leur esprit fertile et inépuisable se mit en marche et la ressemblance avec une autre personne originale du quartier fut décrétée et confirmée en quelques minutes.
Hors la personne en question, pour le plus grand malheur de celle qui piaffait au coin de notre rue, était dans un hôpital psychiatrique. De plus pour rester dans l’ambiance dramatico-tragique de ce qui aurait pu être le livret d’un opéra-comique, le mari de cette dame avait refait sa vie avec une autre personne d’où était née une adorable petite fille.
Tous les ingrédients y z’étaient là pour faire de cette scène la pièce maîtresse d’une oeuvre que même Corneille ou Racine y z’auraient payé une fortune pour avoir ma grand-mère et ma tante comme auteurs interprètes.
Nos deux dramaturges après s’être concertées longuement décidèrent d’alerter le mari qui, certainement reconnaissant ne se fit pas longtemps attendre. Comme dans un film de gangsters américain, celui-ci arriva en trombe, sauta de sa voiture, jeta un sac de toile en jute sur la tête de cette brave dame en l’engouffrant énergiquement à l’intérieure du véhicule et démarra en trombe…et quelle ne fut pas la surprise de cet homme d’action, énergique et efficace, quand celui s’aperçut au bout de quelques instants que la kidnappée n’était pas son ex femme.
J’ai encore en mémoire les réactions des deux coupables qui plus de quarante ans après essayaient de se justifier, tentant d’obtenir des circonstances atténuantes que notre hilarité chronique ne pouvait rendre prescriptible. En 1986, ma marraine, au terme de son existence, à quelques semaines de la fin, riait encore aux éclats en m’entendant raconter ce fait divers qui avait du avoir lieu aux environs de ma naissance.
Des évènements d’une telle intensité étaient courants dans cette énorme coure des miracles qu’était ce grand faubourg de Bab el Oued où vivaient plus d’une centaine de milliers d’habitants.
Chez Brahim, quartier Nelson.
Une autre figure de Bab el Oued qui était à elle seule un véritable monument de l’imagerie populaire et pataouette, officiait comme coiffeur en plein cœur de Bab el Oued à deux pas des Trois Horloges.
Antoine Pappalardo, confident de tous les grands personnages de la capitale et par la suite dans le secret des grands chefs de l’OAS, était en plus de sa gentillesse, de sa convivialité et de sa bonne humeur, le personnage le plus menteur, le plus comique, le plus farceur et le plus gentil de Bab el Oued et peut être même de la ville d’Alger, et peut être même encore de toute l’Algérie.
Né en Italie, il débarque à l’âge de deux ou trois ans d’un lamparo venant tout droit de Napoli, origine qu’il défendra stoïquement et courageusement face à sa belle mère et surtout à l’occasion de match de foot ball. Engagé dans la marine quelques années avant la guerre, il fut démobilisé au commencement de la seconde guerre mondiale, ce qui lui valu de passer presque dix ans sous le pompon rouge. Jeune veuf, il se remariera à une beauté hispanique qui le fera entrer dans un conflit Italo-espagnol qui nous comblera souvent de joie et qui durera jusqu’à la fin de sa vie.
Son salon, véritable scène d’un théâtre populaire ne désemplissait pas malgré les piètres prestations artistiques d’Antoine qui signait ses coupes de cheveux par de grands coups ciseaux trop généreux à vous défigurer même les plus fartasses. Les jeunes de la famille s’arrangeaient du mieux possible pour ne pas passer entre les mains du maître lui préférant de beaucoup les services de son neveu Pierrot. Nous aimions tellement Antoine, que bon nombre d’entre nous, grand pères, pères, enfants et plus tard petits enfants avons continué à fréquenter son salon à Marseille où pour les mêmes rigolades, la même gentillesse et aussi peut être pour retourner le temps d’une coupe à Bab el Oued, nous ressortions toujours aussi mal coiffés.
Le père d’Antoine, Pierre était un homme qui avait les 75 ans passés quand j’en avais une dizaine, ce noble patriarche avait une allure distinguée qui en fit jusqu’à la fin de sa vie un bel homme. Ayant décidé un jour de quitter son village idyllique et miséreux de Cetara dans le golfe de Naples, il embarqua sur son lamparo (légende ou réalité) sa famille nombreuses. Antoine l’aîné, Angèle et Joseph (qui devait devenir mon oncle), et rejoignit sur sa frêle embarcation la côte est de l’Algérie dont Chifallo était le point de ralliement de tous ces immigrés italiens. Après un bref séjour à Nemours à l’extrême ouest de l’Algérie où une quatrième fille Annie viendra au monde, tout le monde revint dans le quartier de la marine puis à Bab el Oued pour s’y enraciner définitivement. Du moins le croyaient ils !
Un autre épisode douloureux des quelques familles proches ou alliées à la notre fut le mariage de ma grande tante Marcelle, la sœur de mon grand père avec mon grand oncle par alliance Ahmoud Hafiz, un arabe comme vous l’avez deviné !
Fringuant bel homme au port de tête impérial, d’origine ottomane , Hamoud Hafiz que nous appelions Tonton Hamoud avait au-delà d’un nom bien persan une ascendance turque. Descendant des grandes familles algériennes, cet oncle était un homme imposant. Malheureusement pour nos sociétés de l’époque qui n’admettaient pas la mixité, cette union fut rejetée de part et d’autre des deux familles. En ce temps les mariages mixtes étaient mal vus et les quelques exemples malheureux d’Aurélie Picard ou d’Isabelle Heberhardt illustrent tout à fait les énormes préjugés de deux sociétés qui vivaient déjà ensemble depuis presque 100 ans.
Près d’un siècle après, les descendants et les familles de Papa Hamoud rient de leur histoire et se retrouvent souvent avec une joie partagée de part et d’autre de la méditerranée.
La rue Mazagran comparée aux riches maison des hauteurs d’Alger était une rue que le soleil et le bout de méditerranée qu’on apercevait, empêchaient d’être sordide. Peuplée de pauvres et simples familles, des gens heureux où se mêlaient quelques commerçants plus aisés, des employés de banques, d’administrations, des fonctionnaires, des enseignants, rarement des bourgeois.
Quelques enfants du quartier deviendront docteurs, pharmaciens ou commerçants de haut niveau. Tous resteront des gens simples dont la plupart découvriront après l’exode le luxe dont jouit depuis peu, la petite bourgeoisie française.
A écouter certains fabulateurs qui nous amusent énormément et qu’un aplomb épistolaire place au dessus de tous soupçons, (Hé oui !) certaines de ces familles jouissaient d’une aisance qui nous aurait permis de nous considérer comme une classe privilégiée .
S’il y avait des riches à Bab el Oued, ils n’habitaient sûrement pas notre rue, mais il est vrai que note niveau de vie, notre éducation nous plaçait au dessus du niveau de vie de l’arabe.
Quelque mythomane, tchaleffeur, propriétaires de domaines imaginaires, s’honorent de la pompeuse réussite sociale de leur famille en Algérie. C’est le cas d’un affabulateur de mes proches qui n’a pas encore compris que le parcours très honorable de ses deux familles, paternelles et maternelles est aussi épique et honorable que les fabuleuses conneries qu’il usurpe en se faisant passer pour un fils de riche. D’ailleurs, est ce qu’un fils de riche colon serait né 7 rue Mazagran !
Dans notre quartier où le niveau scolaire a rarement dépassé le brevet élémentaire pour les plus doués, nous n’avions guère de petits copains qui montaient à cheval ou qui faisait du karting. La grande majorité jouait au foot ball avec une pelote de chiffons se servant des égouts du quartier pour délimiter les but, où il fallait plonger la main pour reprendre la balle.
Ces tchatcharones, les italiens y disent des squartchounes, qui nous racontent toutes ces salades y passent totalement à côté de la réalité qui est aussi belle que toutes les tchaleffes qui peuvent se raconter et qu’y
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sont les seuls à croire. Mais ces comédiens, qui veulent paraitre et qui sont un peu l’aristocratie imaginaire du petit peuple de Bab el Oued, s’appliquent à jouer des rôles de composition qui les rend ridicules et qui nous comblent toujours de la même joie, sauf quand ces personnages dont les plaisanteries parfois trop longues et trop lourdes se retrouvent projetées au premier plan de la communauté. Souvent les premières victimes de leurs rêves, ils parviennent quelques fois à entraîner dans leurs tourbillons d’illusions quelques gogos admiratifs.
Nombreux furent les Pieds Noirs, rentrés avec deux valises en carton (achetées assez ironiquement à la va-vite au moment de l’exode, aux arabes en bordure du port), à regretter ces propriétés imaginaires qui allaient de paire avec un train de vie tout aussi chimérique.
La plupart des ces gens, de conditions modestes, souvent d’origine étrangère, ont bouleversé leur vie, appris une langue, fait des études presque toujours brèves, ont travaillé laborieusement avec l’unique souci de nourrir leur famille.
Très peu d’entre eux pensaient seulement à s’exporter au-delà du faubourg où vivait la bourgeoisie. Les hauteurs de la ville, qui comme dans toutes les capitales du monde abritent les riches demeures bourgeoises, leur étaient inconnues. Leur univers s’arrêtait pour la plupart à la rue Bab Azzoun.
L'Avenue de la Bouzarhea
Ces braves gens, qui les grands jours, s’habillaient comme les riches, semblaient vivre heureux. Les nouvelles générations commençaient seulement à s’intégrer et à s’adapter à la modernité sans toutefois aspirer à autre chose qu’un peu plus de confort. Très peu de mauresques, femmes de ménage, avaient des chances de trouver des emplois stables dans ces familles. Il y avait des « commissionnaires » patentés qui travaillaient pour plusieurs familles, quelques fois des employées de maison embauchées à l’heure. Quelques fois, des jeunes filles du bled étaient placées plus au moins au pair.
Cette escapade en souvenirs heureux sur les lieux de mon enfance est comparable à ces longs feuilletons interminables de la TV. Pas un jour depuis ce maudit mois de juin 62, chaque pied noir, chaque rapatrié, qu’il soit riche ou pauvre, intégré ou pas, n’a pas eu quelques instants par jour, des flash, des images, des pensées qui ne lui rappellent le pays. Certains ont pu ou voulu y retourner peut être trop tôt et sont majoritairement revenus déçus, d’autres pensaient ne jamais revoir ce coin de terre jamais oublié jusqu’à cette époque où l’appel des algériens fait renaître un passé de part et d’autre regretté.
Ce fut mon cas, moi qui ne voulait à aucun prix, voir le drapeau fellagha flotter sur Alger, qui fut un partisan convaincu de l’Algérie Française, qui ne l’était pas ? Et qui depuis l’indépendance, rumine, analyse et essaie de comprendre souvent l’incompréhensible. Voilà que depuis quelques mois, à peine quelques années, des idées de retour se précisent. Et une même question ne cesse de revenir dans ma tête…Et si nous nous étions trompés !
Nous prenons en général un malin plaisir à nous moquer du monde n’omettant pas particulièrement de rire de nos malheurs. Nos premiers partenaires étaient les
arabes avec qui nous jouions une pantomime riche d’une complicité qui mettaient souvent le français de France, comme nous les appelions, fraîchement débarqué, dans un embarras extrême.
Qualifié arbitrairement de « rougios », certainement à cause de notre agressif soleil mais aussi pour leur attirance pour le bon vin, le pathos ou le francaoui, on disait frangaoui, tenait également une place importante dans ces jeux qui se terminaient presque toujours, tous ensemble devant une anisette.. Depuis rien n’a vraiment changé ! dès que deux pieds noirs se rencontrent, cela débouche inévitablement, comme par le passé sur de franches rigolades.
La vie, les évènements que nous vivons et que nous observons depuis cette cohabitation forcée avec les hexagonaux, restent une source inépuisable de joies, d’enseignements et de surprises que notre passé et notre histoire transposent « allégoriquement » dans une comédia del arte permanente qui ne finira jamais de nous surprendre et de nous étonner.
Des noms enchanteurs…
La banlieue d’Alger qui compte 6 millions d’habitants s’étend de La Pérouse à Zéralda et pénètre sur dix ou douze km vers l’intérieure. Autant dire que tous les villages avoisinants, de Staoueli à Maison Carrée, en passant par Birkadem, Birmandreiss, etc sont devenus des quartiers d’ une seule et même ville. Une surprise incroyable, une autoroute desservie par de nombreux échangeurs donnent à cette gigantesque agglomération des airs d’Amérique. Un épanouissement de quartiers nouveaux, de buildings et de bâtiments publiques ou privés laissent entrevoir une richesse insoupçonnable. Si désormais, le Garoubier, Maison Blanche et Fort de l’Eau sont en pleine ville, il faut dépasser la Pérouse pour le bord de mer et Le Fondouk pour l’intérieure pour pénétrer en zone rurale. Autant dire que beaucoup d’endroits sont méconnaissables. Aujourd’hui ces endroits fréquentés jadis pour leur attrait campagnard ou estival n’offrent plus un grand intérêt, si ce n’est pour ceux qui en sont originaires. Quelques jours après, je comprends mieux ma déception à Baïnem qui comme tous ces villages avoisinants ont été pris d’assaut par les populations du bled durant les derniers évènements qui ont meurtri le pays.
La Pérouse fut une halte intéressante où la conservatrice du futur musée du fort, en travaux de finitions, m’a fait l’honneur d’une visite guidée. Belle réalisation qui met en valeur l’histoire de ce monument entouré de vestiges romains.
A l’est d’Alger, nous avons pu aller jusqu’à Bérard, avec une halte poisson à Bou Haroun. Là encore, un accueil parfait. Au menu, salade d’anchois, sardines et rougets. Castiglione, Fouka marine, Tefechoune, Douaouda, des noms enchanteurs envahis l’été par les Algérois.
Cette banlieue d’Alger transporte inévitablement ma mémoire à des endroits où des flash, des images et des instants ressurgissent dans ma mémoire encombrée de tous ces souvenirs, qui avec le temps sont devenus heureux…
Maurice quand il était p’tit, il habitait Notre Dame d’Afrique, à mi chemin entre la basilique et l’asile des fous de chez Rouby. Son premier voisin à trois cent mètres c’était Mohamed Duval, un faux jeton d’évêque qui deviendra cardinal.
Au fond du ravin il avait des voisins plutôt tranquilles, c’était l’immense cimetière de St Eugène. Notre dame d’Afrique c’était un peu la campagne où quand même le trolley bus arrivait jusqu’au petit séminaire. Les pères blancs, des sacrées peaux de vache, dispensaient une éducation plutôt musclée aux enfants de riches dans un collège qui ressemblait plus à la prison de Barberousse qu’à une école. Mon père un jour il a eu la bonne idée de vouloir me mettre en demi pension dans cette institution que quand on rentrait on se demandait toujours quand est ce qu’on en ressortirait. Mes études elles étaient plutôt ratées et cette solution semblait la bonne à condition bien sûr de réussir un examen d’entrée que ces braves curés réservaient à leurs clients que plus y z’étaient riches, plus y z’ avaient la faveur d’être éduqués comme des spartiates.
Convaincu de ne jamais vouloir entrer dans cette école et encore moins d’en ressortir quelques années plus tard marqué à vie, je décidais de saboter mon examen d’entrée en faisant volontairement les 5 fautes à la dictée qui étaient éliminatoires et qui m’éjectaient automatiquement du système.
Après un examen de deux jours qui fut un véritable parcours du combattant, je m’en allais, soulagé, attendre dans les huit jours les résultats négatifs de cette épreuve. Je savais bien que mon père serait contrarié pendant quelques jours de cet échec mais moi, dans le cas inverse, je risquais d’être contrarié pendant plusieurs années.
Le jour des résultas fut mémorable, j’avais fais 45 fautes (dont cinq volontaires) à cette dictée où je n’avais strictement rien compris. Mon père n’insista pas et repris rapidement ma place sur les bancs de l’école laïque et républicaine, dans ce magnifique collège de Bab el Oued, le collège Condorcet, où je retrouvais tous mes p’tits copains de l’école Rochambeau et de la rue Mazagran.
Je l’avais échappé belle !
Mais…Revenons à Maurice !
Momo, comme on l’appelait, il était quand même un peu bizarre et je sais pas si c’était le voisinage de chez Rouby, mais y donnait par moment des signes inquiétants d’une logique que à Bab el Oued théoriquement elle aurait pu passer inaperçue.
Un peu comme Ouin-ouin, un cousin éloigné de France, un léger fil sur la langue le faisait franchement zozoter ou zézéyer, surtout quand l’émotion ou la colère elle s’lui
montait dans les narines. En 1954, Momo il avait hérité de son grand père un petite somme certainement amassée laborieusement et comme y savait pas où la mettre, il décida d’acheter un vespa 400. Vous vous rappelez tous de ce modèle de voiture de maximum deux mètres de long qu’elle pouvait rentrer dans la Studbaker de monsieur Ajuelos, à l’époque c’était la mode des Rumis, de l’Isetta et bien sûr de la vespa 400, c’était aussi la mode du Tépaz, des premiers 45 tours, de Dario Moréno, Marino Marini, des Platters et du chanteur pieds noirs noir et martiniquais Luc Davis. (Que son père y travaillait douanier et que lui il est né pieds noirs sans faire exprès et fier de l’être comme beaucoup de ces enfants de fonctionnaires importés d’la martinique.)
Délesté de ses économies et propriétaire de sa nouvelle voiture, Momo y se promenait dans tous les quartiers de Bab el Oued pour montrer sa nouvelle acquisition. A cause de sa grande taille, Momo le Touil comme on l’appelait, la moitié de sa tête elle lui sortait par le toit ouvrant et heureusement qu’à Bab el Oued on jouissait d’un micro climat et que la pluie elle était plutôt rare.
Un jour Momo, y débarque avec un sousto et une rabbia terrible chez monsieur Henri, le tôlier qu’on a raconté un peu sa vie tout à l’heure que sa sucursalle ,elle se trouvait au café de la rue Cadix, et rouge de colère il explique au brave tôlier que chaque soir quand y remonte à Notre Dame d’Afrique, dans les virages en épingle à cheveux, un gros camion, toujours le même…
« che p’tin d’ camion , y m’sherre, y m’sherre et bessif y m’oblige à caler dans l’focher (le fossé).
Si j’l’attrappe à ce coulo, j’lui nique ses morts, sa mère, son père, ses frères et ses sœurs…c’est p’t’être Momo qui l’a inspiré la chanson « si j’avais un marteau » !
« C’est pas difficile ! » il lui répond monsieur Henri, en homme de l’art et avec le plus grand sérieux que déjà dans ses yeux on pouvait apercevoir des étincelles d’une bonne rigolade,
« Prends un madrier, accroche le au pare-choc avant de ta voiture, installe deux lumières de chaque côté à chaque extrémité et quand tu croiseras le camion et son coulo de chauffeur, y croira que c’est un autre camion et si t’i es malin, c’est toi qui le bascule dans le fossé. » joignant un geste bien de chez nous à ces paroles. Tiens !
« Vous êtes un génie, m’chieu Henri ! » et l’entrevue elle alla se terminer comme toujours autour d’une anisette devant la khémia de Monsieur Camps au Café Cadix.
Trois mois y passèrent, on voyait plus Momo et puis un jour on s’le revoit revenir dans le costume de l’homme invisible, enrubanné, saucissonné comme une momie.
« Hé Momo ! qu’est ce qui t’arrive ? « y lui dit m’sieur Henri, « main’ant tu fais d’la réclame pour une marque de sparadrap ? »
Momo, lui y rigolait pas…
« Vous shavez pas, m’chieu Henri, quand le chauffeur du camion y ma vu arriver…
Il a cru que c’était deux bicyclettes et il a voulu passer au milieu ! »
Les « Beurs ».
Nous savons tous par expérience que les meilleurs coups de pieds, ceux sont les arabes qui les donnent…et aujourd’hui
« Quand la France joue contre une équipe africaine, heureusement qu’il y a la couleur des maillots pour distinguer les équipes… »
Le 209 anniversaire de la révolution française (qui avait aboli l’esclavage et ensuite encouragé le colonialisme) ne pouvait être mieux symbolisée que par cette victoire de l’équipe de France d’outre colonies qu’un joyeux plaisantin, journaliste du Bénin ou de Barbes il a baptisé : Black, blanc, beur… Victoire d’une France remarquablement athlétique et métissée, très remarquée dans le monde grâce à ses Canaques, ses Antillais, ses Kabyles, ses Basques et quelques Balkanais …Après la bataille qui pour une fois fut une victoire, on a pu avec surprise entendre sur toutes les radios et chaînes de TV, des réactions spontanées de personnes, (dont un certain nombre de Glandu), des commentaires favorables et quelque fois chauvins avouant que leur compatriote Zinédine Zidane (zizou ça fait plus franchouillard) et bien d’autres étaient classés au patrimoine français »…Vidal-Naquet, un autre pieds noirs juif qui a mal tourné, chantre des droits de l’homme à sens unique devait jubiler en se réjouissant de cette victoire de l’intelligence sur le racisme et la xénophobie, fulgurante démonstration d’un processus de mutation d’une société nouvelle qui sifflera tout de même, ô sacrilège ! la marseillaise quelques mois plus tard au stade de France et … qui brûlera dans la foulée plus de 4000 voitures dans les banlieues…
On peut vraiment penser sans vraiment se tromper que la France de demain sera une nation métissée et que cette société multiraciale, passé le fossé de la de la bêtise humaine, illustrera à merveille les grands principes de la République et des droits de l’homme. Qu’est ce t’ien pense Mohamed ?
Si actuellement la France compte, d’après un sondage du journal le Monde, une proportion étonnante de citoyens avouant des sentiments racistes et xénophobes, (2 personnes sur 5), on peut effectivement penser sans méchanceté et avec beaucoup d’ironie, que ce chroniqueur sportif avait bien raison d’avouer et de reconnaître que « quand la France joue contre une équipe africaine, heureusement qu’il y a la couleur des maillots pour distinguer les équipes… »
Ce pays qui n’a pas fini de nous surprendre, c’est pourtant bien la France…
Zebda, le beurre au pays du couchant, est le nom emprunté par un chanteur arabe de chez nous pour inonder de son accent curieusement toulousain un nouveau style du folklore gaulois.
Les « collègues » le groupe musicale qui l’accompagne, invités au francouillonades de la Rochelle, éclipsèrent tous les autres participants en se distinguant sur le plan artistique et dans leur manière originale de se vendre et de présenter leur vie d’artiste beurs.
En s’enrichissant (bessif) de cet héritage culturel arabo-français qui semble plaire aux nouvelles générations, la France profonde commence timidement son apprentissage de l’orient. Un nouvel orientalisme, différent du romantisme du XIX ème, est entrain de naître dans une ambiance où l’ indigène européen ne semble plus très à l’aise.
Dans tous les cas, ce mode d’expression nous va droit au cœur. Comment rester insensibles aux trémolos de ces voix et de ces instruments aux sons nostalgiques et qui expriment toute la mélancolie du déracinement difficile de tous ces gens plus tout à fait nord africains ni tout à fait français.
Mon copain Polo y dirait : « Si tu ois la têt de Zebda et de ses Colègues, toud’suit tu comprends ! que même si y disent des conneries, ça te donne la chaire de poule. »
Sur fond d’accordéon violoneux, une musique lancinante pleine de nostalgie « que tu peux t’croire devant un café maure d’ la rue Randon ou d’la rue d’la Lyre. Les paroles sur fond de rigolade « elles pourraient bien remplacer le chant des africains et devenir notre hymne national à nous les p’tits cousins de Zebda… « Mais qu’est ce qu’on est venu faire à Paris…On était bien dans notre pays… » Mon œil ! ( mon œil y fait pas parti de la chanson) mais Zebda il est pas si fou ! y préfère participer aux francouillonades de la Rochelle et rester du côté d’la méditerranée où sa santé elle risque rien. »
C’est vrai qu’on était bien dans notre pays, et à cette époque là, Zebda t’y étais pas né ! on leur disait aux français…vous verrez dans pas longtemps vous aurez des
chanteurs arabes à la télé…Enrico il a commencé par leur faire croire que la musique arabo-andalouse c’était la musique des pieds noirs…Y z’ont tous marché et nous … on a couru !... Roger Hanin, ce salaupri y faisait l’intellectuel en nous égratignant franchement, Bedos, y profitait de casser du sucre sur n’ot dos pour passer plus souvent à la télévision qui à cette époque embauchait tous les fartasses et les falsos qui contrariaient pas la grande Zorha ou tous ceux qui z’avaient tourné la veste.
Peut être que le président y s’appellera peut un jour Mohamed,(c’est pas moi c’est Smaïn qui dit ça) Pourquoi pas ! Dans 20 ans inch’allah c’est pas impossible…et moi ce jour là bessif je meurs, j’me suicide, je meurs de rire.
En attenant, merci aux Zebda, aux Zinedine et aux z’ autes, vot musique, vot accent sont souvent pour nous un rayon de soleil et nouz’ot , les pieds noirs, on a pas attendu les buts de Zidane pour aimer le son du derbouka…d’ailleurs des fois j’me pose des questions… à qui j’ressemble le plus à cuilà que quand y chante des chansons y dort debout, du coup j’me rappelle même plus comment y s’appelle…Francis Cabrin ou quequ’ chose comme ça…
Et puis oilà, deux ou trois buts et y s’aime tous les arabes…C’est vrai que comme y disait l’accordéoniste au beau frère de Roger Hanin, nous les pieds noirs on a pas le monopole du cœur. »
Notre Dame d'Afrique.
Notre Dame d’Afrique
Une étape importante du voyage fut le moment passé à Notre Dame d’Afrique avec une rencontre inattendue avec quatre « chibanis » bien sympathiques.
Ici aussi, les constructions envahissantes ont dénaturé le paysage. De l’esplanade et sous tous les angles la vue est toujours imprenable.
Un pur régal. En bas le cimetière de 40 ha est une énorme tâche verte. Jadis la route du petit séminaire qui redescendait sur les Deux Moulins était un chemin de campagne, aujourd’hui c’est la ville, avec des cités, des commerces et des mosquées. Un téléphérique monte depuis St Eugène sur l’esplanade.
Devant la basilique, l’atmosphère paisible invite à la contemplation. Que c’est beau ! L’intérieure de l’église qui regorgeait de reliques de marins et d’ex-voto a été renouvelée. Cela fait nettement moins bazar ! Le collège des pères blancs semble toujours exercer son office d’école de la grande bourgeoisie et d’une manière générale il semble régner dans ce quartier la paisible atmosphère qui a toujours existé. Ce que nous a confirmé quatre braves grands pères avec qui nous avons parlé des anciens du quartier et de la situation actuelle tant en Algérie qu’en France.
L’ illustre visionnaire n’avait pas prévu dans sa politique de décolonisation, de complaisance et d’indifférence vis-à-vis des peuples concernés, l’effet boumerang à court terme qu’une telle liquidation pourrait provoquer.
L’état de décomposition des pays concernés, colonisés depuis d’une manière (qui n’offusque plus personne), ne sera pas le paradis espéré. Souvent administrés par des dictateurs sanguinaires mis en place avec la bénédiction de la France, ces peuples libérés, passée la courte euphorie de prendre la place des « colons européens », nourriront tous, à l’unanimité, l’espoir de retourner vers l’ancien colonisateur.
Peut être est cela la plus grande erreur de la colonisation. Après l’ivresse de l’indépendance, immigrer en France reste toujours le rêve des grandes majorités de ces peuples aux illusions perdues.
Ce phénomène migratoire, conséquence de cinquante ans de non gestion du problème, reflète l’incurie, l’apathie, l’égoïsme, l’irresponsabilité des français encouragés de plus en plus à vivre en assistés. Cette politique sera minimisée et encouragée par tous les gouvernements de gauche comme de droite. Les chiffres et les statistiques seront toujours floues et ne reflèteront jamais la vérité volontairement dissimulée.
Les timides statistiques, vieilles le plus souvent de plusieurs années, peuvent nous laisser penser que pouvoirs de gauche comme de droite, conscients des véritables conséquences dissimulaient ce qui est devenu aujourd’hui une bombe à retardement.
Le fait que la France soit un pays riche, plein de ressources suffit pour l’instant à compenser le gaspillage d’aides que l’état dilapide sans compter.
Maurice Allais, prix Nobel d’économie a calculé qu’un travailleur immigré coûtait à la France dans les années 90, quatre fois le montant de son salaire, et que si ce travailleur débarquait avec femmes et enfants, il coûtait vingt fois le prix de son salaire. Douce France…
Depuis les indépendances du Maghreb, le Maroc et l’Algérie où les Allaouites et le FLN ont spolié et exterminé les artisans de la révolution, contrairement au désir gaullien de voir « les arabes rester chez eux », l’arrivée des immigrés n’a jamais cessé.
Plus de cinq millions aujourd’hui, alors qu’il y en avait 530 000 en 1945 et 2 170 000 en 1962. (toutes nationalités confondues).
A cette époque la droite, à la reconquête du pouvoir annonce à qui veut l’entendre qu’un chômeur coûte 120 000 frs par an, soit une enveloppe de 48 milliards.
Les mêmes sources de 1997 dénoncent discrètement que des milliards, 2555 pour l’Algérie et 5903 pour le Maroc qui au lieu d’être réinjectés dans l’économie française sont exportés chaque année vers le Maghreb.
Les allocations familiales, crées en 1932 pour permettre aux français de procréer et de faire face aux difficultés qu’entraînent l’éducation des enfants coûtera, en accordant les même privilèges aux étrangers, 25 560 milliards. Milliards qui partiront en fumée, versés à des familles vivant dans leur pays d’origine.
A cet énorme gâchis, il convient de rajouter 2254 milliards pour la facture hospitalière, 35 milliards pour le RMI et bien d’autres avantages qui auraient pu permettre aux français de l’époque de
les finances de l’état.
L’an 2000 verra la France passer de la quatrième place à la sixième commençant une dégringolade que les générations futurs devront assumer.
Il est vrai que les français n’ont jamais été des travailleurs acharnés. Leur aversion pour l’effort et le travail a conduit le pays à importer une main d’œuvre étrangère prolifique sensible aux prestations de la république, instituant une légende de vrai paradis qui provoquera une course effrénée aux visas. Un demi siècle après cette légende est toujours d’actualité.
Aujourd’hui la France se voit contraint d’assimiler et d’intégrer une foule de candidats allant des sans papiers et des voyous aux familles de travailleurs honnêtes, passant par une cohorte de grappilleurs alléchés par la générosité sans bornes du pays des droits de l’homme. Pour exemple cette femme d’un général malgache en poste à Antsirabe, qui perçoit le RMI…
Qui osera remettre de l’ordre dans ce bourbier où le pays s’enlise, accentué par une crise économique qui favorise des langages et les attitudes de plus en plus sectaires ?
Qui osera véritablement remettre de l’ordre dans ce capharnaüm où intégristes, clandestins et voyous recrutés parmi une jeunesse désoeuvrée s’installent dans un système de terreur où la société, à tous ses niveaux, subit les conséquences ?
Si aujourd’hui nous connaissons les véritables responsables de cet état de décomposition de la société française, en revanche nous ne pouvons pas dire comment évoluera cette situation qui reste tout de même préoccupante pour les gouvernants de demain.
Comment la France a pu en arriver là ?
C’est aux français de répondre.
La ville
La journée du lendemain fut consacrée à la casbah. Cette magnifique cité, classée au patrimoine mondial de l’humanité mériterait une plus grande considération de la part des Algériens mais aussi de toutes les instances culturelles étrangères qui laissent un tel site se dégrader.
Un musée de l’artisanat nouvellement aménagé dans un palais, Dar Essouf, donne une idée de la richesse artisanale du pays mais aussi du raffinement de ces palais aux mosaïques et à l’architecture somptueuse. Une visite chez l’unique brocanteur de la casbah me permettra de dénicher dans un véritable capharnaüm, un joli bronze représentant un sphinx et une aiguière ancienne que je ramènerai comme une véritable relique. Quelques bons magasins d’artisanat dont la maison Ben Mansour, 48 rue Didouche Mourad, à deux pas de l’ottomatic, vous présentera des collection artisanales uniques. Là encore, Karil, le fils de la maison vous réservera le meilleur accueil. Ces promenades très agréables dans le centre d’ Alger qui n’a pas tellement changé sont l’occasion de rencontres permanentes. La renaissance de souvenirs qu’avec Rachid nous ne cessons d’évoquer, comme par exemple l’ emplacement des photographes qui officiaient place du gouvernement où jadis pullulait une foule de badauds entourant conteurs et marchands ambulants de toutes sortes.
La visite du Bardo est aussi incontournable. L’architecture de cette maison mauresque, aujourd’hui connue dans le monde entier, est un havre de paix et de raffinement. C’est l’orient dans toute sa splendeur.
Une autre journée fut consacrée le matin à la visite de la ville d’Alger en partant du Forum vers le Télémly, puis vers Diar Saada et le monument des martyres. Des panoramas sur la ville de Belcourt et du Hamma jusqu’à St Eugène sont impressionnants, malheureusement ce jour là le temps était couvert. L’après midi une visite au cimetière d’El Alia me permis de visiter le tombeau d’Abdel Kader, de constater que le carré militaire Français contrastait à côté de celui des Anglais, nettoyé, gazonné et fleuri. Les tombes du cimetière français sont égales à celle du cimetière musulman. Aucune tombe éventrée. Le cimetière de St Eugène, juif et chrétien est en état. Chaque fois que j’ai pu m’approcher des cimetières en banlieue, je n’ai pu que constater qu’ils étaient dans le même état que les cimetières musulmans où les allées n’existent pas et où l’herbe pousse à son gré. Il serait grand temps que les PN prennent en charge ce qui reste de leurs cimetières car les autorités françaises ne feront jamais rien.
Aujourd’hui il faut savoir que l’état algérien a pris la responsabilité du patrimoine des cimetières, que 62 cimetières de province, ou ce qu’il en reste vont être regroupés en une seule nécropole et que notre seule espoir de ne pas voir disparaître nos cimetières repose en ce jour sur le gouvernement Algérien. Pour l’instant tout le reste n’est que littérature et la très médiatisée association France-Maghreb, qui pour l’instant ne peut afficher que des résultats pommadés d’esbroufes, semble plus se concentrer sur le tourisme que sur nos cimetières profanés. Quand cesserons nous d’être dupes !
Cette traversée historique d’Alger fut bouleversante, Milk Bar, rue d’Isly, le monument aux morts, le Forum…que de lieux commémoratifs de cette nouvelle Algérie où il semblerait, à voir la tranquillité qu’il y règne, qu’il ne s’est jamais rien passé.
Mon dernier jour
La dernière grande étape du voyage fut consacrée à Palestro où l’on accède aujourd’hui par une large route à partir de Ménerville. La ville d’Alger semble s’être décentralisée aussi dans cette zone, l’autoroute arrive au pied de cette basse kabylie où les gorges sont devenues de larges routes. Une halte dans un petit restaurant de campagne fut l’occasion de manger des grillades de mouton, et quel mouton !
Cette magnifique et dernière journée de grand air se termina par un repas chez Rachid qui me fit la surprise d’avoir préparé des sardines farcies au « cosbore » et à l’ail, j’avais eu la bonne idée lors de notre sortie à Bou Haroun, de lui dire que jadis, dans les escaliers de la pêcherie, ces fritures nous faisaient souvent saliver. Merci à Amina et à sa fille pour ce repas frugale. Lors de mon départ, elles me couvriront de cadeaux.
Ces dix jours passés au bled furent un véritablement enchantement. Une chose est sûre : les Algériens ne nous ont pas oublié ! Notre terre non plus ne nous a pas oublié, car nombreux sont les vestiges de plus en plus préservés qui rappellent notre histoire. Un autre sentiment est que nous sommes toujours bien présents dans les esprits de nos amis algériens qui expriment sans retenue leur nostalgie des pieds noirs. Et cela, est inexplicable, intraduisible. Il faut vraiment que chacun d’entre nous puisse aller le constater sur place. Voilà pourquoi ces retours sont importants et combien soulageants.
Personne ne peut imaginer cette réalité inexplicable qui fait qu’un demi siècle après, pieds noirs et algériens éprouvent tant de satisfaction et d’émotion à se revoir.
L’histoire officielle du passé ne semble pas concerner cette population qui partout nous reçoit avec la plus grande courtoisie. Une belle leçon de fraternité et de courage. En s’exprimant sans retenue, nos amis algériens semblent en avance d’une bonne longueur sur nous qui avons mis un demi siècle à réagir. C’est vrai que le pardon est plus facile pour les gagnants que pour les perdants ! Mais cela ne doit pas nous empêcher de saisir l’occasion qu’ils nous offrent de renouer avec notre pays.
Nous devons exprimer là, avec autant d’humilité, toute notre reconnaissance.
Il faut savoir que nombreux sont les algériens qui nous appellent leurs frères, certains emploient l’expression « frère de terre ». Et je peux vous assurer sans l’ombre d’un doute de leur sincérité. Tout au long du voyage, chez les jeunes comme chez les plus anciens, j’ai pu ressentir et m’entendre dire combien ils considéraient que l’histoire avait été injuste pour nous et combien ils nous regrettaient.
Quand à tous les revenants dont je suis, qu’on devrait désormais affubler d’un nouveau sobriquet afin de les distinguer de tous leurs frères pieds noirs jamais revenus, ils sont aujourd’hui les meilleurs ambassadeurs de l’Algérie en France.
Certains d’entre eux, on en a aujourd’hui la confirmation, retourneront un jour finir une retraite paisibles au pays, avec la joie infinie de retrouver cette atmosphère particulière de bien et de paix.
A l’heure des bilans, que des regrets.
Pour nos deux communautés, la guerre d’Algérie restera un traumatisme certain.
Pour la France qui depuis un demi siècle essaie de dissimuler tant bien que mal la liste impressionnante des dérapages continuels qui ont coûté la vie à des centaines de milliers de personnes, l’ouverture des archives n’arrangera pas les choses.
Tous ceux qui ont vécu ce drame s’accordent à dire que cette guerre sans nom fut un impressionnant spectacle d’abandon en permanence improvisé. Les gouvernants français, sans cesse acculés à des solutions répressives incontrôlables contribuèrent à renforcer la rébellion et à faire basculer les populations dans le camp du FLN.
Ce conflit, dramatique pour tous, laissera une marque indélébile et des traumatismes sans fin dans les mémoires de tous ceux qui, de près ou de loin, l’auront vécu.
La France ment en annonçant des chiffres revus à la baisse, l’Algérie triche en gonflant le nombre de morts et des disparus.
24756 morts et 64985 blessés et 1000 disparus chez les français. 10000 morts chez les pieds noirs et plusieurs milliers de disparus dont on ne peut préciser le chiffre.
Environ 300 000 morts chez les Algériens musulmans où règne la plus grande incertitude.
141000 morts au combat, 16000 victimes d’exactions, 50000 civils enlevés par le FLN et 4300 militants MNA assassinés en France.
L’Algérie indépendante annonce un million de morts pour sept années et demi de guerre, ce qui donnerait une moyenne quotidienne, dès les premiers jours de l’insurrection de 506 morts.
En ce qui concerne la reconnaissance du génocide des harkis dont la France porte une lourde responsabilité et qui a coûté la vie à plus de 100000 français, les témoignages n’encombrent pas les pages de nos manuels d’histoire. Trois lignes suffisent pour régler leur sort sans dire mot des circulaires Joxe et Frey interdisant aux officiers français de rapatrier leurs hommes après les avoir désarmés.
Une véritable accusation pèse sur les responsables de ces massacres. Au regard de la cruauté du FLN, ce qui n’est plus un secret pour personne. Depuis le début de la guerre, les chiffres des victimes harkis oscille entre 100 et 150 000 personnes. Ce qui est peu par rapport aux 1 200 000 musulmans engagés avec la France. 60000 musulmans rapatriés pour presque 600 000 personnes compromises. 200000 militaires de carrière, 40000 hommes du contingent, 58000 harkis, 20000 moghaznis, 150000 GMS, 6000 gardiens de troupes d’autodéfense, 50000 civils étaient engagés auprès de la France dans l’armée et diverses administrations.
Seuls responsables de ces massacres évalués à plus de 100 000 personnes, De Gaulle. la France et les gaullistes décideront de placer cet épisode de la guerre d’Algérie, remake de la débâcle Indochinoise dans un flou que vraiment personne ne cherchera à dissiper. Il faudra attendre 40 ans pour soulever un coin du voile, sans que vraiment personne ose affronter cette réalité. Allant jusqu’à recevoir les bourreaux, venu spécialement insulter sur les nécropoles françaises, la mémoire de ces soldats français, les gouvernants français continuent un demi siècle passé de respecter une omerta que l’Histoire n’est pas pressée de dévoiler.
Il est vrai que l’histoire de France est jonchée d’épisodes de ce genre et que cela n’est ni nouveau ni choquant pour un peuple habitué à toutes les compromissions.
L’Algérie indépendante fut livrée à des dirigeants barbares et sanguinaires qui procédèrent dès les premiers jours de l’indépendance aux massacres non seulement de ces pauvres gens qui avaient cru en la France, mais aussi à l’élimination de toutes les oppositions au FLN qui espéraient une république algérienne et non une politique de pillage.
Avec un potentiel humain très endommagé et une population déshabituée au travail, le nouvel état indépendant ne pourra que sombrer dans un marasme économique qui le mènera, malgré son pétrole, vers un appauvrissement, accentué par la rapinerie d’une nomenclature, qui favorisera la montée de l’intégrisme.
Cette piraterie du FLN gouvernera sans partage. Les Algériens en se faisant voler leur révolution, entraient dans le club des pays abandonnés par la France aux castes les plus corrompues. Cette politique voulue par De Gaulle fut confiée entre autre à Bernard Tricot, qui sans poste officiel régnait sans partage sur les ressources de l’Afrique, faisant et défaisant fortunes, dictateurs, roitelets, qui avaient tous un point commun : le gangstérisme d’état.
Peu de conflits ont laissé derrière eux autant d’amertume, de déception et de regrets que cette guerre d’Algérie qui fut une succession d’erreurs et de maladresses imposées par une politique improvisée que l’on continue de faire croire judicieuse. En contradiction avec la politique menée sur le terrain, De Gaulle, génie visionnaire pour les uns, ambitieux Caudillo pour les autres, décidera d’une politique algérienne qui se soldera par des massacres de grande envergure.
Il faut bien admettre que les Algériens furent contraints par la violence du FLN et celle de la répression, au ralliement révolutionnaire. Les populations musulmanes, en grande partie indifférentes à la présence française ont subi un terrorisme aveugle et sans pitié, destiné à les faire basculer dans le camp du FLN. Si un nationalisme algérien existait bien depuis toujours, certaines mesures égalitaires, prises à temps et longtemps réclamées, seraient venues à bout des revendications indépendantistes.
Dans ce conflit la France perdra sa grandeur, les pieds noirs leur pays, les gaullistes leur honneur, les harkis leur vie et les Algériens, pendant cinquante années, toute espérance de progrès.
Quand à la France, si elle perdit sa conscience, peut être qu’un jour en perdant son identité, réalisera t elle l’importance des conséquences de la politique d’un homme qui n’aspirait qu’à reprendre, en même temps qu’une revanche, le pouvoir de l’état Français.
Les pieds noirs lucides qui analysent leur histoire admettent leurs erreurs. C’est peut être une cause de leur silence.
Une minorité médiatisée à plaisirs exprime encore des sentiments fielleux pouvant aller quelques fois jusqu’à la haine et au racisme. Si moins de 5% de la population pied noir s’affichent avec l’extrême droite, la grande majorité a aujourd’hui compris qui sont les véritables responsables.
C’est une évidence ! Aucun des nôtres (ou vraiment très peu et à des postes subalternes) n’ont participés à l’administration coloniale de l’Algérie Française. Aucun pied noir ne fut jamais gouverneur ni grand administrateur du pays, laissant ces tâches à des métropolitains qui souvent improvisaient des politiques inadaptées en fonction des directives du capitalisme local.
A l’exception du grand colonat qui préférait les affaires au pouvoir en influençant considérablement celui-ci, la masse populaire ne s’intéressait que de très loin aux affaires du pays.
Le pied noir moyen, souvent immigré, se contentait d’assumer son travail et d’essayer d’assurer sa réussite professionnelle, ce qu’il fit admirablement avant et après l’exode où sa réinsertion fut exemplaire et largement pour la plupart, au dessus du niveau de vie qu’il aurait pu espérer atteindre s’ils étaient restés en Algérie.
Aujourd’hui les pieds noirs se divisent en plusieurs courants qui nuisent à l’union impossible que nous aurions pu souhaiter. C’est la preuve irréfutable que cette communauté trop récente n’avait pas encore acquis une identité propre. Il aurait fallu peut être attendre une cinquantaine d’année pour que ce peuple trop jeune, aux clivages encore très marqués, puisse se fondre en une réelle communauté identitaire. Cent ans de vie commune n’auront pas permis à ces divers communautés, souvent rivales, de se rassembler en une seule et d’afficher un front commun qui aurait peut être permis de mieux présenter nos revendications et surtout de mieux nous faire connaître auprès des français métropolitains qui pour la plupart n’avaient aucune idée de ce que nous étions.
Si nous sommes fiers de nos élites qui aujourd’hui donnent une image souvent prestigieuse de notre communauté en France et à l’étranger et de la majorité des nôtres qui dans divers endroits ont réussis leur intégration, nous ne pouvons que regretter cet éclatement communautaire qui ne nous permettra pas d’enraciner notre culture comme l’ont fait les arméniens, les juifs où aujourd’hui les arabes en France. La raison profonde de cet échec en incombe à la diversité de cultures qui n’ont pas eu le temps de se fondre, ni de trouver le ciment d’une véritable fusion. Les rivalités idiotes et encore vivaces des oranais et des algérois en sont un exemple, celles des italiens et des espagnols aussi, l’antisémitisme latent qui n’a pas disparu aujourd’hui existait et souvent tout ce monde, légèrement au dessus du niveau de vie de l’arabe moyen qui restait toujours pauvre, n’hésitait pas à manifester une supériorité qui relevait plus de la bêtise que d’un atour de la nature.
Bien évidemment le contexte de l’époque permettait ces attitudes que l’on nommerait de nos jours des dérapages, encouragés par les propos des plus grands socialistes de l’époque qui de Jules Ferry à Léon Blum proféraient des harangues aujourd’hui inimaginables. Héros vénérés de la gauche, que leurs discours aujourd’hui enverraient devant les tribunaux. « Nous avons trop l’amour de notre pays pour désavouer l’expansion de la pensée et de la civilisation française. Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont parvenues au même degré de culture et de les appeler aux progrès réalisés grâce aux efforts de la science et de l’industrie. » L.Blum.
Je me souviens de certains comportements, où la bêtise associée à un racisme latent permettait à certains de ces petits blancs de se distinguer par des attitudes supérieures en prenant un certain plaisir à dominer le plus faible, en l’occurrence l’arabe. Certes ils n’étaient pas légion, mais ils existaient. Comme ce patron de café, porte parole des plus grandes gueules du quartier Nelson et pas toujours les plus futées, d’une nature « bagarreur », qui sautait par dessus son comptoir pour passer à tabac presque toujours de pauvres bougres un peu trop insistants. Un autre haut parleur de ce quartier de Bab el Oued, qui parlait peut-être un peu trop fort. Il finit assassiné suivi de près par son frère. Il est certain que si ces pauvres bougres avaient su se tenir, ils n’auraient été ni expulsés, ni assassinés. De trop belles cibles pour médiatiser le terrorisme naissant.
Cette époque fut sanglante pour beaucoup de ces personnages qui dans une atmosphère de bombes, d’assassinats, de terrorisme et de contre terrorisme plongeaient la ville dans un chaos où les parachutistes de Bigeard reviendront mettre difficilement de l’ordre.
Ces nombreux « activistes » toujours manipulés par l’antenne gaulliste d’Alger participeront à l’attentat de la rue de Thèbes, à l’affaire du Bazooka, bien plus tard après le 13 mai, aux barricades et au putsch, puis iront naturellement dans l’OAS. Les quelques survivants encore en vie, continuent souvent de donner la même image désastreuse de ce passé, se positionnant sans qu’on leur ait rien demandé, comme nos représentants, radotant un discours qu’une sénilité naissante n’améliore pas.
Ces hommes sans aucun doute sincères, que j’ai pu voir évoluer de très près étaient restés de grands enfants. Aucun ne connut le sort de Gavroche. On en retrouve encore quelques uns sur des sites internet provocateurs, car comme les « chahides » ils ont fait également des petits aussi excités que leurs aînés.
L’age n’ayant pas arrangé les choses, ils continuent avec quelques irréductibles leur guerre d’Algérie, empoisonnant sans souvent s’en rendre compte, le travail et la vie de gens plus réalistes qui depuis toujours essaient de donner l’image véritable du pied noir dans toutes ses composantes.
Quelques uns, les plus intelligents comme Lagaillarde se sont tus, les autres, les plus nombreux persistent à se donner en spectacle sans vraiment chercher à s’améliorer.
Quarante quatre ans après, les clivages de tous ces frères ennemis au lieu de se résorber ont tendance dans un dernier souffle à s’amplifier. Peu nombreuses sont les associations qui continuent d’entretenir cette animosité contre l’arabe et où le juif est tout juste accepté.
L’état d’esprit d’une certaine catégorie de ces éternels petits blancs, presque toujours issus et descendants des classes ouvrières, continuent, au détriment de l’amitié et de l’entente fraternelle qui devrait nous unir, de diviser et d’éloigner les nombreux sympathisants qui refusent de s’associer à ce genre de propos aujourd’hui dépassés.
Pour certains et vu ce que j’ai pu entendre et lire sur certains visages, toute idée de fraternisation avec nos amis algériens est à bannir. J’ai même rencontré, outre les habituelles grenouilles de bénitiers, des franc-maçons aspirant aux plus hautes fonctions de leur loge, se comporter sans retenue exprimant des propos et des sentiments racistes des plus primaires plus proches du Ku Klux Klan que du grand mouvement ésotérique et humaniste qu’est la franc-maçonnerie. Peut être n’ont-ils rien compris ni à l’Algérie ni au Grand Architecte de l’Univers et resteront ils pour la plupart toujours que des éternels apprentis ?
Vient ensuite le long cortège des indifférents, des amnésiques, des déçus, des rigolards, des radins et des « je m’en foutistes ». Ils sont légions. On peut en apercevoir certains dans les réunions gastronomiques où les moitié-prix sont toujours excessifs et le service trop long, d’autres sont en permanence aux abonnés absents, quelques hommes d’affaires pourraient équilibrer leur absentéisme par une compensation pécuniaire, mais il n’en est rien. Ils en ont pourtant les moyens. Quelques bons vivants préfèrent se rencontrer une fois par mois autour d’une khémia, peut être ont-ils compris que la grande communion se faisait à la cuisine. Enfin il y a les radins qui promettent inlassablement d’envoyer leur obole qui n’arrive jamais et osent rouspéter de ne jamais recevoir d’invitations à nos agapes. Ceux qui avec un art raffiné s’éclipsent à l’anglaise dès qu’il s’agit de mettre la main au bassinet. Une dernière catégorie, les retraités qui prennent les associations de rapatriés pour des club du troisième âge et qui en clan participent à ces réunions couscous-merguez sans trop vouloir, convivialement intégrer les nouveaux.
Souvent pour ne pas dire toujours, dans un état d’ esprit atavique de « chicaillas » ces courants s’imbriquent les uns aux autres et en dehors de ces ripailles sans intérêt, d’une médiocrité qui n’intéresse vraiment pas grand monde, rien ne semble pouvoir les distraire du traintrain quotidien.
Triste bilan, triste constat, triste exil, triste France ! Pauvres pieds noirs ! Ils « sont tous arrivés » il est vrai… mais aussi dans quel état !
De Gaulle n’avait pas entièrement tord en disant que nous étions d’inoffensifs braillards capables de vociférer qu’à l’heure de l’anisette. Je crains qu’en guise de conclusion il faille se contenter de cette appréciation certes caricaturale mais pas complètement infondée.
La plupart des ces gens, de conditions modestes, souvent d’origine étrangère, ont bouleversé leur vie, appris une langue, fait des études presque toujours brèves, ont travaillé laborieusement avec l’unique souci de nourrir leur famille.
Très peu d’entre eux pensaient seulement à s’exporter au-delà du faubourg où vivait la bourgeoisie. Les hauteurs de la ville, qui comme dans toutes les capitales du monde abritent les riches demeures bourgeoises, leur étaient inconnues. Leur univers s’arrêtait pour la plupart à la rue Bab Azzoun.
Ces braves gens, qui les grands jours, s’habillaient comme les riches, semblaient vivre heureux. Les nouvelles générations commençaient seulement à s’intégrer et à s’adapter à la modernité sans toutefois aspirer à autre chose qu’un peu plus de confort. Très peu de mauresques, femmes de ménage, avaient des chances de trouver des emplois stables dans ces familles. Il y avait des « commissionnaires » patentés qui travaillaient pour plusieurs familles, quelques fois des employées de maison embauchées à l’heure. Quelques fois, des jeunes filles du bled étaient placées plus au moins au pair.
Cette escapade en souvenirs heureux sur les lieux de mon enfance est comparable à ces longs feuilletons interminables de la TV. Pas un jour depuis ce maudit mois de juin 62, chaque pied noir, chaque rapatrié, qu’il soit riche ou pauvre, intégré ou pas, n’a pas eu quelques instants par jour, des flash, des images, des pensées qui ne lui rappellent le pays. Certains ont pu ou voulu y retourner peut être trop tôt et sont majoritairement revenus déçus, d’autres pensaient ne jamais revoir ce coin de terre jamais oublié jusqu’à cette époque où l’appel des algériens fait renaître un passé de part et d’autre regretté.
Ce fut mon cas, moi qui ne voulait à aucun prix, voir le drapeau fellagha flotter sur Alger, qui fut un partisan convaincu de l’Algérie Française, qui ne l’était pas ? Et qui depuis l’indépendance, rumine, analyse et essaie de comprendre souvent l’incompréhensible. Voilà que depuis quelques mois, à peine quelques années, des idées de retour se précisent. Et une même question ne cesse de revenir dans ma tête…Et si nous nous étions trompés !
Nous prenons en général un malin plaisir à nous moquer du monde n’omettant pas particulièrement de rire de nos malheurs. Nos premiers partenaires étaient les arabes avec qui nous jouions une pantomime riche d’une complicité qui mettaient souvent le français de France, comme nous les appelions, fraîchement débarqué, dans un embarras extrême.
Qualifié arbitrairement de « rougios », certainement à cause de notre agressif soleil mais aussi pour leur attirance pour le bon vin, le pathos ou le francaoui, on disait frangaoui, tenait également une place importante dans ces jeux qui se terminaient presque toujours, tous ensemble devant une anisette.. Depuis rien n’a vraiment changé ! dès que deux pieds noirs se rencontrent, cela débouche inévitablement, comme par le passé sur de franches rigolades.
La vie, les évènements que nous vivons et que nous observons depuis cette cohabitation forcée avec les hexagonaux, restent une source inépuisable de joies, d’enseignements et de surprises que notre passé et notre histoire transposent « allégoriquement » dans une comédia del arte permanente qui ne finira jamais de nous surprendre et de nous étonner.
Charles De Gaulle…
Nom qu’on associe trop souvent à l'idée d'une certaine «grandeur» de la France. Mais comment
associer cette grandeur et tout ce déshonneur ?
De Gaulle, soutenu par les partisans de l’Algérie Française prend la revanche de son éviction contre les partis de 1946. A son retour au pouvoir, il prodigue à ses supporters les promesses les plus solennelles, dans le moment même où il a décidé de les tromper.
Le grand Charles, téléfilm en deux épisodes sur TFI continue de construire la légende gaullienne en relatant dans un flou apparent l’engagement de celui qui devant l’armée, puis la France entière a juré et prêté serment.
Il avait promis que lui vivant jamais le drapeau vert et blanc ne flotterait sur Alger.
Le réalisateur Benjamin Stora, dont les engagements trotkistes et les trous de mémoire célèbres reste en tête du peloton d’une clique d’historiens et d’observateurs pour qui l’impartialité n’est qu’un piètre mot.
Ce brillant « historien » dont le fond de commerce est plutôt prospère, (ce que nous pouvons comprendre sur le plan commercial), rechigne à contrarier les lecteurs qui le font vivre. Un brin d’objectivité et d’impartialité serait quand même les bienvenus.
Le monologue de la fin du film donne une image d’un De Gaulle visionnaire, grand stratège d’une décolonisation qui fut un gigantesque fiasco, ce que tout le monde admet aujourd’hui.
Le bilan global des historiens se rapproche chaque jour d’une vérité nouvelle que l’on peut de moins en moins maquiller et qui est bien différente de ce que nous avons l’habitude d’entendre.
Ecoutons un soldat perdu…
« On peut comprendre que vers 1960 dans certaines analyses, on a pu estimer qu'il n'y avait plus d'avenir pour une France «de Dunkerque à Tamanrasset», et que l'on se soit engagé sur la voie d'une Algérie et d'une France indépendantes, ce que l’on ne peut comprendre, c'est la manière dont cela s'est passé.
En effet, sur un plan militaire ou policier, en 1962, il paraît incontestable
que les forces de l'ordre avaient «gagné la guerre», et il me semble donc que
les autorités françaises et au premier rang desquelles le président de la République, étaient en
position de force pour imposer le processus de l'émancipation algérienne sans
passer sous les fourches caudines.
Dès lors pourquoi ne pas avoir imposé des conditions honorables, voire favorables pour la France?
Pourquoi avoir accepté de livrer à leurs bourreaux cruels et à une mort certaine les harkis (qui n'avaient pas été économes de leur propre sang pour combattre aux côtés des forces de l'ordre françaises) et leurs familles?
Pourquoi interdire à nos soldats de circuler avec leurs armes ou leur interdire d'intervenir pour protéger les familles qu'on lynchait, qu'on massacrait ouvertement? Qu'est-ce que ça aurait coûté qui fût intolérable que de permettre à la France, son armée, ses ressortissants et ses partisans de se retirer dans l'ordre, l'honneur et avec la vie sauve? »
Le grand homme a menti. Pour s’emparer du pouvoir il était prêt à jouer tous les coups, même les plus illégaux.
En 1958, De Gaulle arrive au pouvoir porté par l’espoir de tous les pieds noirs, de l’armée et de la grande majorité des Français. Pour tous il va résoudre et il s’y engage, le problème de l’Algérie dans le cadre de l’Algérie Française.
Face à l’incompétence et à l’inertie de dix ans de politique parisienne, « le plan Résurrection », véritable prise de pouvoir par l’armée lui a été soumis par le général Dulac, qui de retour à Alger transmet au général Salan, commandant des forces armées en Algérie,le message suivant :
« Il ne faut pas que j’apparaisse sur la scène derrière cette opération. Donc il faudra que je sois appelé sans que cela donne l’impression d’un coup d’état militaire.
Dites à Salan, que tout ce qu’il a fait et tout ce qu’il fera, c’est pour le bien de la France. Il faut sauver la baraque… »
Devant l’évolution de la situation et les prises de position favorables de René Coty, « le mandarin » (surnom du général Salan) attendra. Malgré les pressions gaullistes, le général en chef décidera de ne pas déclencher le plan Résurrection épargnant ainsi un coup d’état à la République.
« Merci du fond du cœur, du cœur d’un homme qui sait qu’il porte en lui la lourde responsabilité de l’Histoire…Vive Mostaganem, Vive l’Algérie Française, Vive la France ! »
Voulant un référendum lui consentant les pleins pouvoirs dans les plus bref délais, ce mensonge lui assurait les bonnes grâces des pieds noirs et de l’armée. Aussitôt
cette comédie jouée, il commença le bradage au plus grand mépris de ceux qui l’avaient porté au pouvoir.
Le passé de De Gaulle aurait du nous éclairer sur ses véritables intentions, son entourage était pour nous une garantie suffisante de sa bonne foi et nous ne pensions pas que des hommes comme Massu, Soustelle, Salan puissent se tromper si lourdement sur les intentions et le comportement machiavélique de celui en qui ils avaient placé toute leur confiance et tous les espoirs.
Le colonel Argoud rapporte une anecdote lors d’une tournée des popotes où un jeune officier lui pose la question :
« Mon Général, est il vrai que vous pourrez un jour abandonner l’Algérie ? »
Hautain, le général lui a répondu dans le blanc des yeux :
« Est-ce que De Gaulle abandonnerait jamais quelque chose ? »
Et puis est arrivé le moment où il a jugé que le fruit était suffisamment mûr pour ne plus prendre de précautions. Tous les grands chefs militaires Massu, Bigeard, Salan et bien d’autres étaient au placard, limogeant et écartant les plus virulents partisans de l’Algérie Française, il pouvait placer ses fidèles et plats serviteurs tels que Paul Delouvrier, Foucher, Morin etc, porteur de messages trompeurs totalement contradictoires à la politique souterraine amorcée par l’Elysée.
La trahison totale de celui qui avait promis un avenir français allait déclencher une cascade d’évènements et un
basculement de toute une partie de l’armée, mettant plusieurs fois en péril la stabilité du régime.
Jouant jusqu’à la fin du conflit un jeu extrême, De Gaulle allait permettre à une troisième force de prendre en main le destin de l’Algérie pour l’emmener vers une démocratie populaire où toutes formes de coopération avec la France serait bannies. La mascarade des accords d’Evian confirma à quel point De Gaulle voulait se débarrasser à n’importe quel prix de l’Algérie.
Notre état d’esprit à l’époque et je crois qu’il n’a pas changé, était que De Gaulle méritait la mort. Son parjure avait eu des conséquences terribles en particulier pour les harkis. Pour les pieds noirs en les abandonnant comme à Oran où le général Katz, sur ordre, a laissé massacré 3000 français, donnant ordre à la marine nationale de ne pas intervenir pour rapatrier ces malheureux qu’on pourchassait dans les rues d’Oran.
De Gaulle avait décidé de donner aux pieds noirs leurs martyres, Nous allions être servis.
« Quand à moi De Gaulle m’a appris la haine et je ne crois pas être différent de tous mes compatriotes pieds noirs. En mon âme et conscience, au bout d’un canon, je ne pense que j’aurais pu hésiter une seule seconde. Sans réticence, aucune.
Cet homme avait accumulé tant de fautes qu’il méritait de payer.
Les biographies condescendantes de nombreux écrivains complaisants passent sous silence les actes de forfaiture, de supercherie et de trahison de ce personnage, il est vrai hors du commun, arrogant et méprisant dont la carrière fut bâtit sur l’opportunisme et le mensonge.
Grâce à l’habileté du verbe et l’utilisation massive et nouvelle de la radio télévision complètement aux ordres du régime, « l’homme du destin » embobinera la France et les français et deviendra avec l’appui de ces médias le plus grand fabulateur du siècle.
Il commencera sa carrière en empruntant aux vrais combattants des écrits avec lesquels il rédigera un traité d’une guerre où il fut souvent absent, ce qui lui valut une querelle et une rancune jamais éteinte avec le vainqueur de Verdun.
Une anecdote peu connue de sa captivité relatée par un historien allemand donne une idée de la morgue et de l’effronterie de ce singulier personnage. Les Allemands remettaient leur sabre aux officiers français prisonniers pour assister à la messe le dimanche. De sa hauteur et avec l’arrogance que nous pouvons imaginer, le prisonnier De Gaulle, ne se voyant pas remettre le symbole de son grade réclama son arme…On ne lui avait pas dit que cette considération typiquement prussienne de l’honneur n’était accordée qu’aux officiers pris les armes à la main…
Il faut bien conclure.
Aujourd’hui le temps est peut être venu, de part et d’autre de la méditerranée de faire conjointement un travail de deuil et de mémoire qui facilitera peut être la réhabilitation d’une histoire commune et douloureuse.
Par delà les douleurs et les plaies non cicatrisées, les ambiguïtés, les peines et les mensonges, il faudra encore surmonter beaucoup d’obstacles dont le principal est en nous même. Et là ! les pieds noirs ont une longueur de retard par rapport aux Algériens.
Le séjour est fini, je suis comblé. Avec Rachid nous abrégeons sans trop nous l’avouer les adieux. Nous nous donnons l’accolade et rendez vous, c’est sûr, dans un an Inch’Allah.
Le départ est aussi spectaculaire que l’arrivée. L’émotion éprouvée n’est pas tout à fait la même qu’à l’arrivée. L’apaisement du à une profonde satisfaction ajoutée à une irrésistible envie de revenir ont changé ma vision et mon statut d’exilé car je sais que demain je reviendrai.
Ma réconciliation avec ma terre natale est réussie, je repars cette fois ci vers un exil moins définitif, moins douloureux. Heureux et conscient que si nous le voulions, nous pourrions revenir vivre sur cette terre où des algériens seraient heureux de nous revoir et de nous accueillir.
Je repars aussi avec un autre espoir, celui de transmettre à tous mes amis pieds noirs un message d’amour et d’amitié de la part du peuple Algérien, véritable thérapeutique qui pourra peut être les guérir d’une nostalgie toujours difficile à supporter.
Certains pourront, d’autres pas.
La France par une répression aveugle et souvent immodérée a imposé une insurrection qui devenait inévitable, laissant à des militants nationalistes moins pacifiques le soin de mener une rébellion axée sur la terreur.
Les plus pacifiques des leaders de l’indépendance étant écartés et qui se présentaient comme des interlocuteurs honnêtes furent contraints de céder la place à des guérilléros qui entraînèrent le mouvement vers un despotisme sanguinaire.
Peu de conflits ont laissé derrière eux autan d’amertume, de déception et de regrets.
L’Algérie restera toujours pour la France une plaie purulente qu’aucune chirurgie ne pourra véritablement effacer ou atténuer car « Le mensonge écrit avec l’encre ne peut obscurcir la vérité écrite avec le sang. » Pour reprendre Albert Camus, « qui répondrait en ce monde à la terrible obstination du crime, si ce n’est l’obstination du témoignage !
Commentaires
je découvre votre blog: impossible de tout lire ce soir car vos articles sont denses. Ce sera pour un autre jour. En attendant, je vous souhaite un bon dimanche et une bonne continuation.